Le compas fut un instrument magique pour l’enfant que j’étais. Longtemps je n’ai conçu la vie sans compas. La géométrie m’avait envahi voire me prenait la tête. J’eus même une période où là la symétrie axiale me gouvernait entièrement. A dix ans je frisais le trouble obsessionnel convulsif.
J’agençais les décors de ma chambre en symétrie parfaite. Le moindre déséquilibre me troublait. J’appliquais une règle que je pensais sans doute n’avoir rien à envier à celles de saint Augustin ou de saint Benoît. Toute partie de mon corps décalée par rapport à l’axe longitudinal de ma petite personne devait impérativement connaître la même sort que son symétrique axial. Je développais des trésors de discrétion et de contorsion pour ne pas laisser paraître par exemple que mon épaule ou mon genou gauches devait également se cogner à la cheminée pour bénéficier de la même impulsion que la partie jumelle. Enfant considéré comme tout aussi intelligent que très bizarre, j’essayais donc de n'en rien laisser paraître. J’avais conscience de l’idiotie d’un tel comportement mais je n’arrivais pas à m’en détacher. Ce furent de longs conciliabules entre mon cerveau droit et le gauche avant que de décider de rompre cette règle infernale. Je crois que que ce fut au moment où je rejetai l’existence de Dieu. J’entrai dans ma deuxième dizaine avec un peu plus de sérénité, débarrassé d'une boussole dont je doutais de la direction qu'elle donnait. Mais revenons au compas, tracer des cercles, inscrire des triangles, former des rosaces pouvaient occuper des heures entières de ma vie solitaire. Mais tout ceci n'était que plans et il fallait que je m'évade dans l'espace. Ma plus belle réalisation fut un icosaèdre, le mot même dont j'inverse encore les syllabes, m'enchantait, comme le nom d'un objet pur infiniment parfait. Je regrettai de ne pas l'avoir fait plus grand. J'ai vu l'autre jour, dans une revue écologique, une serre en icosaèdre tronqué, crois bien que dès que j'aurai un moment, je m'attelle à un tel projet.
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