Cela me fascine toujours cette capacité qu’ont eu les savants de cette époque de proposer des concepts « révolutionnaires ». Ne nous trompons sur les visées réelles, l’unification des poids et mesures avait avant tout pour objectif de faciliter le commerce à longue distance, pas nécessairement de libérer le peuple de pratiques locales donc nécessairement rétrogrades, quitte à les faire passer comme archaïques. Les notions révolutionnaires ont pu être présentées comme des objets infiniment purs et parfaits. Bref le mètre fit florès même si ce ne fut pas le pied pour les anglo-saxons.
Pourtant les unités locales pouvaient avoir un intérêt bien pratique et très concret, illustrant d’autres visions logiques ou de bon sens. Leur conversion en système métrique n'est pas si simple. J’ai beaucoup de sympathie par exemple pour le journal, qui est la surface qu’un ouvrier agricole peut labourer ou faucher en un jour. Un journal est un journal, point n’est besoin a priori de le convertir dans une autre unité de mesure parce que le bien est organisé ainsi, un rural sait qu’ici il a trois journaux, là cinq et les travaillent en conséquence. Car en réalité le journal est une unité complexe, intégrative de différents paramètres qui influent sur la pénibilité. Aujourd’hui nous ne voyons les mesures que par le filtre révolutionnaire : les surfaces ne sont plus que mètres carrés, ares et hectares, et kilomètres carrés lorsqu’on change d’échelle. D’aucuns se sont piqués de remplacer les journaux par des unités carrées. C’est là que le bât blesse. Selon les endroits, le journal n’a pas la même valeur. En plaine il avoisine le quart d’hectare. Mais en montagne, il descend à moins d’un cinquième. Si tu réfléchis deux secondes, tu trouveras cela normal : avec la pente on ne travaille pas la même surface en un jour. En apparence seulement car plus la pente est forte plus la surface réelle s’accroît par rapport à la surface cadastrale. C'est quand même amusant de penser que tout cartésien que nous soyons nous comparons sans arrêt des surfaces de choux avec des aires de navets. Bien sûr à une époque où l'on ne souhaite tant qu’acquérir des parcelles plates comme la terre des rétrogrades, pour construire des pavillons au détriment de l’agriculture locale, on oublie facilement que la surface d’un terrain n’est qu’une projection sur un plan imaginée pour calculer ton imposition foncière. Si l’usage du mètre correspond bien à une réalité objective, l’application des unités de surface à notre environnement extérieur est dans la pratique assez conceptuelle.
J'aime bien aussi l'empan, cette mesure de la distance entre l'extrémité du petit doigt et du pouce, la main étant étendue à son maximum. La largeur d'un gros équipement ménager, un lave linge par exemple, vaut peu ou prou trois empans. Je te sens ricaner. Va construire des étagères pour le cellier en mesurant des longueurs de tasseaux et de planches avec ton empan. Mais ne crois pas que les anciens qui ne détenait pas de mètre n’avaient ni règles ni compas.
Revenons à la toise, c’est ni plus ni moins originellement que l’étendue entre l’extrémité de chaque main, bras écartés, devenue la brasse ou la brassée, le sens de la toise ayant évolué vers la valeur de six pieds. Rien n’est plus pratique que d’avoir sur soi en permanence son matériel de mesure. Pour le mètre, d'abord défini comme la 10.000.000e partie du quart de la circonférence dû méridien de Paris, il fallu constituer une référence indiscutable. Se posa la question du matériau, car la référence ne devait bien sûr pas varier - sinon imagine l'horreur voire le déshonneur des savants révolutionnaires - en fonction des conditions de température. On conçu un mètre de référence en platine, plus tard en alliage de platine et d'irridium, le mètre étalon. Tu vois, quand je te dis que la toise s’est fait mètre !
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