Du lit au lit

Une question à laquelle tu ne t'attends pas lors que tu perds ton premier parent. De quel côté faut-il creuser ? Ils avaient acheté une concession là où personne ne s'y attendait. Les autre solutions étaient obérées par des considérations familiales complexes. Elle ne voulait pas reposer avec la reine-mère, mais aller avec la veuve noire supposait des accords. Lui s'en foutait. Ils choisirent d'aller ailleurs. Je passe sur les détails, les conséquences, comme il le regretta, comme je me promis de les déplacer un jour quand je serai seul à décider si je pars le dernier de la fratrie car nous ne partagions pas la même vision. De toute façon, ils n'avaient pas pris à perpète - ce n'est plus possible je crois - et il faudrait bien décider quelque chose.  

C'est le bouquin que je viens de refermer qui me rouvre ce dossier. Elle attend son tour depuis des années mais elle a une dernière chose à régler avant de partir. Elle attend un pardon. La concession est familiale. Il ne reste qu'une place et elle sera au dessus de lui. Je m'attache aux détails. C'est bizarre cette idée. Il doit y avoir un nombre impair de places sur la largeur, sinon elle pourrait être à côté. Mais comme personne d'autre n'a été enterré depuis, elle devrait aussi pouvoir être à côté. Ou alors la tombe n'est large que d'une seule place. Elle doit être sacrément profonde dans ce cas. Ou bien je ne m'y connais pas assez en conception de caveau.

Ils avaient emménagé leur concession en tombe à deux places côte à côte dans la terre. Une drôle d'idée qu'on autorise des choses pareilles dans un cimetière avec des circulations d'eau en profondeur. Il me semble qu'il devrait y avoir des caveaux étanches. Je ne préfère pas imaginer pas à quoi ça va ressembler le jour où je vais les déplacer. Si je les déplace un jour. S'ils retournent au village. Quoi qu'ils aient pu faire à un moment de leur vie, et que je n'ai pas supporté moi non plus, j'ai dû mal à accepter qu'ils soient condamnés à rester seuls à jamais dans ce village pourri. Enfin, pas tout à fait seuls, mais ce n'est pas là qu'ils auraient dû être.

Il m'a demandé de quel côté on allait la mettre. Pour pouvoir préparer le trou. Je suis resté un peu perdu. Ils avaient pensé à tout mais pas à cela. Et j'ai pensé que lui était trop dans les limbes pour avoir une idée. Mais peut-être savait-il en fait. L'homme m'a dit doucement qu'en général on faisait comme dans le lit. Avait-elle un côté habituel ? Les chambres des deux maisons successives me sont apparues. De toute façon c'était le même lit. Je l'avais toujours vue à gauche. Enfin, à droite quand tu regardes le lit. J'ai pensé que c'était bien. D'accord, on creuse à droite. Plus tard, je lui ai dit je crois. Elle sera du même côté que dans votre lit. 

Les choses sont parfois trompeuses. J'essaie de penser à d'autres lieux où je les ai vu dormir. En particulier, ces chambres où tu rentres sans connaître la configuration et d'emblée chacun du couple choisi sa place, intuitivement, sans concertation. En vacances, chez la veuve noire, ailleurs pour ce dont je me souviens, elle est toujours de ce côté-là. Mais c'est aussi toujours celui de la porte. Ou alors elle est au centre et la question ne se pose pas. Et si le déterminisme était ailleurs. J'ai compris un jour qu'où que nous dormions je prenais par défaut la place la plus éloignée de la porte. Pour moi, si je finis dans cette configuration, il faudra regarder l'entrée du cimetière, pas le lit.

Et si je m'étais trompé. Si sa place c'était celle du côté de la porte ? Parce que là, on l'a mise à l'opposé. Jusqu'au bout, tout se sera fait l'envers. Il n'y avait pas d'ordre des choses. Il ne reposent peut-être pas en paix. Il faudra sans doute que je finisse par les déplacer. Il faudra peut-être que je le dise pour nous.