Jouer avec le feu

Je ne me suis jamais opposé politiquement à mon père. J’ai même testé brièvement des trucs qu’il ne désavouait pas comme adhérer à une organisation politique de jeunesse à gauche, ce qui fit flipper ma mère, et ne dura pas longtemps car trop stalinien à mon goût. Mon esprit libre ne supportait pas qu’on me dise ce qui fallait que je pense sans débat. Pourtant les sujets de divergence avec mon père ne manquaient pas. Nous nous sommes bien opposés depuis l’enfance jusqu’à ce jour d’adolescence où il a levé la main sur moi en famille et où je lui ai fait comprendre physiquement et pacifiquement qu’il fallait qu’il arrête. Par la suite il m’a fichu une paix royale. Il faut dire que par ailleurs, je vivais une vie assez studieuse et irréprochable, sans rien laisser filtrer de mes jardins secrets. C’est bien plus tard que j’ai été confronté aux affres de l’adolescent qui se cherche, qui a rencontré des difficultés relationnelles, dont l’image du père a été brouillée par des proches irrespectueux ou par des copains aux pères absents. J’ai mesuré de près cette violence interne et ses débordements. Ah combien je me suis inquiété de ce qui pouvait arriver. Il était sans filtre et me déversait ses états d’âmes bien au delà de ce qu’il rejetait alors. J’ai eu la chance que le lien ne se rompe jamais. Qu’au fond de lui l’image qu’il avait de moi restait nette au fond du brouillard. Qu’il fallait accepter et vivre nos différences dans une certaine sérénité. Je sais qu’il est passé près du pire. Je sais que j’aurais pu me retrouver comme le père joué par Vincent Lindon dans la situation que je ne vais pas dévoiler faute de spoiler la fin du film remarquable des sœurs Coulin. Benjamin Voisin est d’une justesse impressionnante dans ce film entre la luminosité d’un jeune homme solaire et la noirceur de l’ado paumé. J’ai lu une critique qui trouvait Lindon incarnant un père trop pétri de certitudes. Je ne crois pas. Justement. Faut-il avoir été père soi-même d’un tel ado ou ado revenu de cet au-delà pour comprendre ce qui se joue dans la tête du père ? Stefan Crépon est très bon aussi. Je suis ressorti de cette séance complètement chamboulé tant elle avait remué de vieux souvenirs.