mardi 8 février 2022

Quand la vie était à venir

Est-ce à l’occasion d’un rêve ou bien une association d’idée ou un simple flash. L’image de Jean-Lude m’est soudain revenue. Sa tête bouclée, toujours souriante. Des traits fins. Des fossettes si je me souviens bien. Ils étaient deux redoublants dans cette classe de seconde. Plus ou moins potes par raison. Leurs bons copains n’avaient pas repiqué. Ils étaient un peu seuls, à construire une relation par défaut. Le prénom du deuxième ne me revient pas. Il trainait sa dégaine désabusée. C’est lui qui me plaisait le plus pour autant que j’ai su qualifier mon attirance à cette époque. Mais c'est avec Jean-Lude que je suis devenu bon copain. L'espace d'une année, après avoir comblé le fossé qui sépare forcément un gars qui devrait être en première avec un jeune ingénu de seconde. En plus, moi. Ce fut une relation assez superficielle, il habitait dans un autre village et arrivait le matin par le bus de ramassage. Je suppose que le week-end et les vacances il voyait ses copains. En fin d'année, il m'a confié ses émois pour une fille de la classe. Il sont sortis ensemble pour une des dernières booms de l'année. Je n'aurais pas pensé qu'il soit aussi gauche, je le croyais plus tombeur avec ce visage si charmant. Je suis passé une fois chez lui, une belle maison aux grandes baies vitrées. Je crois qu'il avait des frères. Je m'en souviens comme d'une proximité. Je crois que c'était avant cette boom. En première, nos parcours ont divergé. On ne s'est pas suivis. Nous n'avions pas le même cercle de copains, et à cette époque ça structurait beaucoup. On ne passait pas facilement d'une bande à l'autre. Il fallait choisir et on ne prenait pas le risque de changer. J'avais une place à consolider et j'ai misé sur une autre amitié. Je ne le regrette pas car elle dure toujours. Avec Jean-Lude, on s'est perdus de vue, complètement. Il est réapparu à la fin de l'année dernière. Puis cette semaine encore. Son visage est terriblement net dans mon souvenir. Je le situe particulièrement dans la classe d'histoire. Il est terriblement beau. Je cherche des images. Je ne trouve rien qui me l'évoque suffisamment. Un instant, j'ai pensé à William Katt, dans Carrie. Mais non, il n'était pas blond et le sourire ce n'est pas tout à fait ça. Je choisis une image de dos. J'ai peur d'effacer Jean-Lude. D'oublier ensuite son visage que je ne reverrai jamais. Car la vie est passée par là. Sur le net, j'ai trouvé les références de son décès. Il est mort à 31 ans. J'ai le frisson. Je pense à un accident, pas à la maladie. Puis ce matin, une autre idée me traverse l'esprit. Je préfère ne pas y penser, garder la mémoire de Jean-Lude dans ces quelques pas devant les baies vitrées de sa maison, quand il me parlait avec ce sourire d'ange, que la vie était à venir.


2 commentaires:

  1. Comme toujours, petit texte et fragment de vie extrêmement touchant et émouvant, provoquant résonance chez bon nombre d'entre nous sans aucun doute, à commencer par moi. Merci !!

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    1. Merci Periclès ! Écrire ce texte a bien apaisé ma mémoire…

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