Une fin d'après-midi d'automne. L'orée d'une de ces grandes forêts comme il en reste à la périphérie de quelques métropoles. Un de ces endroits où les citadins viennent se dégourdir les jambes après un repas de famille en faisant quelques pas qui ne les éloigneront guère du parking. Une époque où on ne plaint pas le carburant, où l'on peut encore conduire un peu éméché.
La lumière est encore vive sur les arbres aux feuilles marcescentes. La petite fille avance d'un pas encore mal assuré sous nos yeux ravis. Cette petite fille qui me fait sortir peu à peu de ma propre enfance. Étais-je l'enfant qui ne voulais pas grandir comme on me le suggéra plus tard ?
Lui le père, mon grand frère tant admiré, tenait quelques conciliabules avec le puiné. Je ne prêtais pas attention à leurs sourires moqueurs. Je ne les entendais pas. Je regardais la petite. Il y avait aussi sa maman, cette merveilleuse grande-sœur qu'il m'avait donné. Mais elle n'entendit pas, sinon je sais qu'elle m'aurait non pas simplement défendu, mais sauvé.
On pourrait figer l'instant, les observer, puis penser à ce qu'ils sont devenus, ce qu'ils n'imaginaient pas être, les cris et effondrements futurs. Ils étaient sûrs d'eux, avançaient dans la vie en prenant le pas sur leurs propres parents, jouissant de leur revanche sur les autorités qui avaient tenté de les contraindre alors que le temps était à la libération -
Les deux frères s'étaient légèrement écartés tout à leur conciliabule. Comme ils étaient grands, minces et beaux ! Quelle belle image j'avais d'eux !
Je m'étais approché. Je ne me suis jamais souvenu d'avoir dit quoi que ce soit. Ni avant, ni après. L'ainé m'a regardé avec un grand sourire. La phrase est tombée, tout aussi brutale qu'elle était joviale. Ces quelques mots qui allaient me plonger dans un abime de perplexité. Ces mots que j'entends encore fuser à certains moments. Ces mots qui me reviennent parfois quand je le vois. Ce secret que je n'ai jamais révélé. A qui aurais-je pu alors me confier ?
Après avoir vécu la trahison de mes copains d'école, j'apprenais ce jour-là qu'il ne faudrait pas compter sur mon sang. Je m'inventerai un mystère de naissance, contre toutes les évidences et les ressemblances. Il me faudrait du temps pour commencer à exister vraiment. Ce jour-là, j'entrais dans un long tunnel d''où je ne sortirais que pour franchir des précipices. Il me faudrait tant d'années pour comprendre ma différence.
J'avais à peine 13 ans et ces deux grands dadais d'une autre génération se croyaient adultes. Plus tard, dans leurs paroles, ils oublieraient mon prénom pour m'appeler l'autre.
Cette phrase dont je me dis longtemps, et si c'était vrai ?
Il n'y eut pas d'autres mots. Ils rirent de mon visage interdit. Je fus glacé d'effroi devant le monde qui soudain s'effondrait. Je ne chancela pas pourtant. Ils passèrent à autre chose. La vie s'offrait à eux. Ils venaient de murer la mienne.
"Ça te gêne pas d'être con ?"
C'est celui qui le dit qui l'est !
RépondreSupprimerC’est gentil Joseph !
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