lundi 20 août 2018

Trahison

Les petits mouchoirs. Film de Guillaume Canet
Cécile a découvert que son mari a une double vie sur le net. Une double vie sous pseudo où il exprime des sentiments et des opinions très différentes de ce qu'elle connait de lui. Un monstre.
Extrait de Les loyautés...
" (...) Jusque-là, William ne s'est jamais gêné pour me rendre complice.
- De quoi ?
- De ses petits arrangements avec le réel.
- Lesquels ?
- Ceux que scellent tous les couples, j’imagine.
- Par exemple ?
Il m'agace avec ses fausses questions. Je réponds néanmoins.
- Tous les couples se conforment à des règles et des usages, généralement implicites. Non ? C'est une sorte de contrat tacite qui unit deux êtres, quelle que soit la durée de cette union. je parle de ces combines plus ou moins grossières que l'on fomente, à deux, sans jamais les formuler. des accommodements avec le réel, oui, par exemple avec la vérité même.
- C'est -à-dire ?
- Eh bien, par exemple, dans un diner. Le mari raconte une anecdote qui arrivée au couple ou à la famille : l’incroyable coup de foudre grâce auquel ils se sont rencontrés, la grève des avions déclenchée la veille de leur voyage de noces, la tempête de 1999 alors qu'ils inauguraient leur nouvelle voiture sur une route nationale dans le Nord, ou encore ce jour où ils se sont retrouvés dans une maison sans eau qui ne correspondait en rien à celle qu'ils avaient louée sur un site de vacances, ou bien celui où leur fille est tombée du grand toboggan du parc de la Villette. Bref, le mari raconte quelque chose qu'ils ont vécu ensemble. Comme il aime faire son petit effet, il enjolive un peu, voire davantage, il ajoute quelques détails sensationnels pour que l’histoire soit plus drôle, plus frappante. Il exagère. Il transforme. Il suppose, ce faisant que sa femme va faire sien ses mensonges, les siens. Il suppose à juste titre, qu'elle va se taire et devenir sa complice. Et c'est ce qu'elle fait.
- Ah bon ?
- Pas vous ? Vous contredisez votre femme en public quand elle rajoute un chouille ?
(Je sais que le docteur Felsenberg est marié car il porte une alliance.)
Il sourit. je poursuis sur ma lancée.
- Moi je crois que ce contrat tacite existe dans tous les couples. A des degrés divers. disons que les clauses de confidentialité sont plus ou  moins longues. Et ces faits d'armes, plus ou moins revisités, finissent par construire une sorte de roman familial. Une épopée. Car au bout d'un moment, on finit par y croire.
Le docteur Felsenberg est resté silencieux.
Alors j'ai ajouté une phrase, dont j'ignore si elle était la conclusion de ce qui précédait ou le début d'un raisonnement qu'il me reste à tenir.
- En fait, le couple est une association de malfaiteurs.
Il a attendu quelques secondes avant de relancer.
- Le problème est que cette fois vous n'êtes pas associée. Et que d’ailleurs vous ne souhaitez pas l'être. Car ce récit est au contrat. Finalement, cette fois, on pourrait dire que votre mari n'a pas voulu vous compromettre. Il n'a pas cherché votre complicité.
- C'est vrai. Mais le problème c'est que je l'ai vu.

Il a décidé que nous arrêtions la séance sur ces mots.
Je commence à connaitre ses interruptions d'expert et ses sournoises stratégies. Il s'est dit que j'allais me débrouiller toute seule avec mes aphorismes de bas étage et ce qu'ils contiennent de sens cachés. Que cela ferait son chemin.
Oui des malfaiteurs nous sommes. Sans doute. Si on va par là. Nous négocions sans relâche, nous pratiquons la concession, le compromis, nous protégeons notre progéniture, nous obéissons aux lois du clan. Nous louvoyons, nous mijotons notre petite cuisine. Mais jusqu'où . Jusqu'où peut-on être complice de l'autre . Jusqu'où doit-on le suivre, le protéger, le couvrir, voire lui servir d'alibi ?
Voilà la question que le docteur Felsenberg ne m'a pas posée. celle qui était contenue dans mes propres paroles et dont il est certain qu'elle finira par me rattraper.
Oui , j'aime mon mari. Enfin je crois.
Mais il est devenu si difficile de l'aimer.
Les gens se transforment-ils à ce point ? Chacun de nous abrite-t-il quelque chose, comme une encre sale, antipathique, se révélerait sous la chaleur de la flamme ? Chacun de nous dissimule-t-il en lui même ce démon silencieux capable de mener, pendant des années, une existence de dupe.

J'observe mon mari à la table du dîner, et je m'interroge : le monstre en lui laissait-il percevoir son odeur, ses manières, et l'écho de sa colère que je n'ai pas su reconnaître ?
Est-ce moi qui ai changé ? Est-ce moi qui ai fait de lui cet être amer et saturé de bile ?"

Delphine de Vigan, Les loyautés, roman, JC Lattès, 2018.

2 commentaires:

  1. J adore cette auteur. Je me demandais ce qu elle allait sortir après son dernier ( d après une histoire vraie)que j ai adoré ( mais le film de Polanski ne fait pas du tout passer l essentiel ) . Tes deux posts sont un très bon teasing, je vais m y plonger au plus tôt ! C est vrai que c est un sujet assez essentiel .

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C’était une première pour moi et je n’ai pas vu le film de Polanski. Je vais en lire d’autres, ça me changera des polars qui sont mes nourritures habituelles.

      Supprimer

Tes commentaires sont bienvenus. Mais ceci est mon blog et je me réserve la possibilité de supprimer tout commentaire déplacé, inapproprié, hors sujet et/ou signé uvdp, ou encore tout commentaire anonyme ou signé d’un pseudo qui n’en est pas un comme par exemple uvdp. Les commentaires truffés de liens explicites et non interactifs ne seront vraisemblablement pas conservés.