dimanche 3 mai 2020

Interrégime #9 top-modèles

Nyle DiMarco (c) DR
Grace à Matoo, je découvre le blog de David Mardore, mathématicien qui donne à beaucoup réfléchir.  Dans un billet qui décrit à quel point il vit mal la situation de confinement, il explique finement tout ce qui m’inquiète dans l’usage des modèles - il aborde la modélisation des chercheurs anglais sur la progression du coronavirus qui a orienté les stratégie de la plupart des gouvernements -, dans l’abus des maths par ceux qui ne les maîtrisent pas suffisamment, la part des biais et des egos. Évidemment, au milieu de commentaires bienveillants, il se prend une thèque d'un autre mathématicien qui tente de le discréditer parce qu'il n'est pas épidémiologiste. La bonne blague.
Chacun dans sa discipline devrait être vigilant à écouter les questions voire les réserves posées par tout un chacun et notamment quand il s'agit d'un spécialiste des outils dont on use alors que ce n'est pas notre formation première. Je côtoie suffisamment de chercheurs en sciences dures depuis des lustres pour m'interroger sur leurs limites. Le regard des historiens et des anthropologues est toujours très éclairant, alors tu pense celui d'un mathématicien. La gestion des biais est si souvent calamiteuse. Le plus terrible est que certains finissent par confondre les modèles avec la réalité qu'ils tentent de décrire avec beaucoup d'approximations, et en tous cas c'est ce que beaucoup laissent penser à la population. Et l'on finit par trouver les effets prédits alors qu'ils pourraient être facilement attribués à autre chose. Je lis ailleurs que le professeur Raoult - citant Edmund_Husserl (« Les modèles sont les habits des idées, il y a toujours un modèle qui peut faire croire que votre idée est juste. »*) est climatosceptique. Il ne voit pas le changement climatique et invoque les images de la Nasa. Sans se prononcer sur la réalité du phénomène, le nombre de personnes qui constatent des effets du changement climatique sans aucun recul est impressionnant. J'ai lu un jour une thèse de sociologie qui décortiquait la démarche de plusieurs chercheurs reconnus dans leur discipline de sciences dures - j'utilise une deuxième fois ce terme que je n'aime évidemment pas -  et montrait à quel point le travail était orienté par l'abandon de toutes les hypothèses un peu complexes et de la production de données qui aurait pris trop de temps.
Bien sûr tout cela ne manque pas d'interpeller sur les stratégies gouvernementales et le rôle des experts dans les choix de société. Didier Raoult a son idée sur la question, toujours dans l'article pré-cité : "Je n’ai pas de temps à perdre. Les décisions ne se prennent pas à la majorité. Elles se prennent parce qu’il y a un leader qui décide après avoir écouté tout le monde. Cette manie d’essayer d’avoir du consensus, cela ne marche pas.". Allez, je ne commente pas.
Un qui ne doute de rien non plus, c'est le célébrissime Jean Tirole, économiste orthodoxe, bien connu pour son prix Nobel et pour la chasse aux économistes hétérodoxes qu'il soutient dans l’université française. Tant qu'à faire autant rester entre soi, le confinement des idées ne souffre aucun partage. Dans une interview, toujours dans l'Obs, désolé d'être aussi mono-sourcé et pourtant je lis autre chose, il mettrait [soit-disant] en garde sur les "les risques [du traçage] vertigineux pour les libertés publiques" [c'est le chapô qui le dit !]. Mais en même-temps, il trouve de grandes vertus au système de notation individuelle mis en place par le gouvernement chinois. Imagine-toi noté sur le base de comportement routier, de ta manière de trier les déchets, de quoi stimuler nos comportements individuels et collectifs. Mais encore ?
Je sais bien pourquoi j'ai plus peur du déconfinement que du confinement. Sortir de cette situation actuelle, dans un sorte de statut quo qui n'en est pas un, retrouver le monde d'hier et pas encore celui de demain qui ne viendra sans doute pas car nous sommes aux mains de fonctionnements individuels et collectifs indépassables, me fait terriblement pas rêver.
Un dernier mot pour David Madore qui a choisi de montrer "la même page pour tout le monde" et donne la mise en garde suivante "En lisant ces pages, vous convenez de garder à l'esprit que l'impression qu'elles peuvent donner de leur auteur ne serait pas la même que celle que vous pourriez avoir en me rencontrant dans la Vraie Vie. Vous promettez d'être prudent en vous formant une opinion : vous pouvez utiliser ce site pour votre information ou votre amusement personnels, mais vous ne devez pas me juger personnellement, en bien ou en mal, sur la base de son contenu ou de son existence. Si vous ne convenez pas de ces termes, vous pouvez partir." Chapeau bas David !




* D'après Didier Raoult, dans "La crise des sciences européennes", années1930, citation non vérifiée.
Photo : Nyle DiMarco (c) DR, non créditée en ligne

7 commentaires:

  1. David est quelqu'un de précieux à lire, et il publie énormément !!!

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  2. Également lu grâce à matoo. Très intéressant effectivement. Et impressionné comme toi par la difficulté de certains à sortir de leur discipline, de leur façon de voir . C est terrible . Difficile d assumer la complexité, chère à notre Edgar Morin Audi centenaire . Comment faut-il lui ?

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  3. Oui, comment fait-il, Edgar Morin, quasi centenaire? (et pas audi centenaire....fichu correcteur...)

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