mardi 19 février 2019

Ça suffit !

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers,
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés,
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants,
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent.

Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres:
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés.
Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre,
Ils ne devaient jamais plus revoir un été

 

La fuite monotone et sans hâte du temps,
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d'arrêts et de départs
Qui n'en finissent pas de distiller l'espoir.

Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel,
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou,
D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel,
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux.


Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage;
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux?
Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenus si bleues.

Les Allemands guettaient du haut des miradors,
La lune se taisait comme vous vous taisiez,
En regardant au loin, en regardant dehors,
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers.


On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours,
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour,
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire,
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare.

Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter?
L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été,
Je twisterais les mots s'il fallait les twister,
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez.

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers,
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés,
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants,
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent.


Nuit et Brouillard, paroles et musique de Jean Ferrat, 1963

 

2 commentaires:

  1. Superbe Jean Ferrat , actualité tellement triste et sombre, et comment oublier aussi Serge Reggiani et ses loups qui ont envahi Paris ? cependant le mal est plus profond que ce mot, car il y a une fracture sociétale entre le mal être du petit peuple et les économistes qui leur disent :" Vous avez tort , votre pouvoir d'achat augmente; ce sont vos choix dans vos achats quotidiens qui vous font des fins de mois difficiles ; pas la hausse du coûte de la vie " discours tenu en Belgique et quasi identique en France ; alors le peuple à qui on a vanté le monde des PC, de la tablette, de l'IPhone et des réseaux sociaux , la connexion au monde entier mais qui ne parle plus à son voisin qu'il ne voit peut=être même plus, ne voit que l'étranger, ou celui qui est différent pour bouc émissaire _

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