mercredi 7 octobre 2020

J’avais éteint l’étincelle de ses yeux

J'ai repris les chemins. C'est une chose très particulière. De refaire son sac après tout ce temps. Partir tôt, la route seul, puis retrouver des gens pour un bout de trajet, puis finir dans des réunions de bandits masqués. Parler dans un tissu, s'essouffler devant le micro ou peut-être était-ce l'émotion de reprendre la parole en direct. Manger une nourriture industrielle ou quasi et retrouver ses réticences alimentaires. Et le froid dehors car la neige est déjà sur les sommets, et ces portes ouvertes pour assurer un minimum de ventilation. Oui, tout cela est troublant, avec en toile de fond pour certains d'entre nous au moins, le pourquoi de cette agitation, alors que l'on continue à couler dans ce monde qui ne sera pas celui de demain. Il y avait aussi cependant ce sourire qui flottait et finit par m'inquiéter quand la nuit est tombée.

Oh, ça ne faisait plus guère de doute et je me demandais dans quelle conditions j'allais me tirer d'affaire, j'hésite à dire de ce piège, car je m'étais plus aveuglé que je n'étais surpris de l'issue. Tout avait commencé il y a un an environ, peut-être même avant, mais je n'y avais pas vraiment prêté attention. Des petits échanges sympathiques comme on peut en avoir avec des collègues de travail, avec cette difficulté à gérer les distances. Il y a toujours un moment où on effleure le personnel, et parfois peut-être un peu trop. Avec cette personne, le basculement s'est produit à partir du confinement. Des raisons objectives de communiquer à distance ont progressivement basculées sur des PS attentionnés et parfois des bises, puis des messages sur WhatsApp qui alternaient entre le pro et le perso, ponctués d'émoticônes assez neutres mais sont apparus un jour des petits cœurs sur les sourires. J'ai alors soigneusement évité tout ce qui relevait de la démonstration affective, ne concluant pas mes messages ou tout au plus par des bonne journée ou bon week-end, les espaçant aussi le plus possible. J’essayais de rester dans la posture de celui qui accompagne des collègues en peine dans cette période perturbée. Mais je pense que la mécanique était lancée et telle une luge dévalant les pentes, je ne pouvais plus rien faire pour l'arrêter. Étais-je aveuglé par mon empathie ou inconsciement voulais-je voir jusqu'où elle irait ?

J'étais à un carrefour du village, mon hébergement à gauche et le sien tout au fond. Je l'ai suivie aussi bien pour ne pas refuser ce qu'elle voulait me donner que pour trouver une conclusion honorable. Je suis resté sur le pas de la porte, refusant d'aller plus loin, et la laissant en détresse quand je suis reparti avec cette enveloppe entre les mains. Je repassai le film de ces derniers mois et cette ultime journée, recherchant comment j'aurais pu nous en sortir autrement. Peut-être aurait-il été aussi simple de lui dire que si je ne pouvais pas rester c'était bien une question de mélange des genres et surtout qu'elle n'était pas un garçon ? Le lendemain son visage était d'une tristesse infinie. Le piège s'était refermé sur elle même, si elle ne regrettait pas d'avoir dévalé la piste. Il y a toujours un moment où on finit par se brûler. Le très chaud et le très froid conduisent aux mêmes sensations.


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