mercredi 23 novembre 2022

Les garçons en fleurs

Il me revient souvent le mystère de nos jeunes années et particulièrement comment ces cinq garçons que nous étions à l’époque fugace où nous constituâmes ce groupe assez soudé que paradoxalement j’avais fédéré sont restés aussi prudes. Paradoxalement car ma personnalité discrète ne semblait pas me prédisposer à organiser un tel rassemblement. Aujourd’hui je comprends mieux que j’ai pu en prendre l’initiative et y arriver. J’étais d’autre part le seul à faire le lien entre les personnalités de mes amis si tranchées. Je sais désormais que j’aimais Émile en secret et je souhaitais qu’il soit accepté par R. auquel je tenais beaucoup tant il représentait l’ouverture vers un monde non conventionnel eu égard à notre éducation très marquée par l’éducation religieuse. R. était le seul qui n’avait pas été baptisé. Moi-même j’avais renié l’existence de Dieu et renoncé à la religion mais je n’étais pas débarrassé d’une somme colossale de préjugés. À la même époque certains de nos proches ont pu être abusés par des prêtres. Cela me glace d’effroi.

La question de la sexualité n’était pas absente de nos discussions tardives dans quelque salon libéré par des parents pour une soirée, mais jamais nous ne fîmes de lecture érotique collective, réservant plutôt cet exercice à des histoires fantastiques comme celles de Poe - il eût suffit que je sorte Emmanuelle de la cachette de mon père. Dilou n’envisageait aucune relation avant le mariage alors que R. avait tenté l’expérience avec une professionnelle. Les trois autres restaient discrets sur le sujet et s’imaginait aller où le vent les mènerait. S'il ne fut jamais question de relation avec des hommes, il n’y eut pas d’expression particulière sur l'homosexualité. C’est dire dans quel monde nous vivions.

La pudeur régna en tout temps pendant ces quelques mois où nous enchaînâmes les soirées et les vacances à la campagne sans aucune gent féminine. Je n’ai aucun souvenir d’une nudité quelconque a fortiori évocatrice. Les plaisirs solitaires furent seulement évoqués une fois par R. lorsqu’il découvrit le miroir à l’intérieur de la porte de mon placard. Il suggéra que j’en usais pour me  branler ce qui était vrai mais que je niais avec autant de vigueur que ce qu’il imaginait. Pourquoi n’ai-je pas avoué cet acte à l’un de mes meilleurs amis du moment, le plus ouvert de tous à ce type de conversation ? Il n’avait pas insisté. Pour autant, je veux penser que sa recherche d’expériences variées l’aurait conduit à partager un moment sensible avec moi.

 


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