J'ai glissé la main dans la poche latérale de mon sac d'ordinateur. J'ai touché le petit objet cylindrique qu'elle portait au doigt à l'ongle court. Je l'avais trouvé dans un tiroir de la maison triste. Je l'avais pris, un peu volé, car il ne m'appartenait qu'au tiers. Il serait désormais toujours avec moi, en secret, comme un talisman improbable.
Je sentais l'ongle cassé et je savais que je n'allais pas résister très longtemps. Elle aussi avait les ongles cassants. J'ai pensé à la lime bicolore, un côté rouge au grain grossier, un côté blanc moins grenu. Ma main est passée dans le sac de voyage pour trouver la trousse de toilette. Là j'ai trouvé une de ses limes que j'avais emporté une fois précédente.
J'étais assis comme elle, jambes croisées, les voyageurs s'excusaient de bousculer mon pied gauche. Mais je restais ainsi. Je limais soigneusement l'ongle brisé.
Ils sont partis, mais ils sont toujours là, pour de petites choses, de petits instants de connivence. Un diaporama défilait devant mes yeux, elle, avec sa lime, assise sur une chaise jambes croisées, ou dans la voiture sur le siège du mort, ou encore cette fois où nous avions pris le train, où j'avais remarqué comme elle changeait, comme sa beauté était en train de partir, juste avant qu'elle ne devienne cette vieille dame, j'étais adolescent, je le vivais comme une trahison et j'avais su dans ses yeux qu'elle l'avait compris.
Un ongle s'était cassé et elle me revenait sans prévenir.
Ces petits objets qui rappellent toute une vie. Ils ont plus de valeur qu'une toile de maitre. Comme d(habitude, tu sais toujours les mettre en valeur.
RépondreSupprimerRomain