vendredi 10 juin 2016

Le bel Eustache

Ce fut un séjour agréable et inédit. Rien ne s’est tout à fait passé comme il était prévu. L’aventure disais-je… Il était envisagé deux soirées amicales, n’en déplaise à Nicolas X. qui me ferait presque passer pour obsédé au détour d'un commentaire sur un blog ami :-)… Ma vie n’est pas remplie de sexe même si mes confidences ici sont principalement sur ce registre. Je peux passer une soirée voire une nuit avec un garçon sans lui sauter dessus. Par contre, je confesse que s’il me tend la perche, je suis capable de la prendre.

Mais mon programme a été bien bousculé. Je devais revoir Pio en mode bar à bière entre sa sortie du boulot et d’autres activités, Au dernier moment, le dieu travail me l’a confisqué. La deuxième soirée qui s’était calé tardivement fut annulée pour raisons familiales. J’ai trouvé sans peine des activités de substitution. J’ai une grave tendance au noctambulisme quand je me déplace. Comme je ne mange ni ne boit jamais seul, le moins ou le plus souvent possible (je te laisse choisir la bonne combinaison, ce point de syntaxe m’a toujours gonflé, c’est bien de la syntaxe, non ? Allez, on me corrigera !), c’est une question de principe. Je ne risque pas non plus d’aller au spectacle en solo. Je pourrais pour une exposition, mais grâce au code du travail (me pardonnera-t-on cette provocation ?), quand j’ai fini d’enchaîner les réunions, les débriefings et tutti quanti, tout est déjà fermé… Il m’est arrivé cependant de bénéficier de nocturnes spéciales.
Rien ne vaut un bar et un restau avec un ami, quelques bières ou une bouteille de bon vin. Un collègue sympa m’a bien proposé d’aller diner ou souper ensemble, mais j’ai eu trop peur qu’on ne quitte pas le terrain professionnel tant la pression est forte en ce moment.
Seul, je n’ai même pas faim, donc je ne mange pas. A vide, mon estomac ne déclenche pas les mécanismes qui induisent le sommeil. Alors qu’à demeure, je sombrerais bien vite dans les bras du beau Morphéus, là je deviens insomniaque. Je ne suis qu’une simple machine biologique. Heureux celui qui se domine et prend les rennes, moi je me laisse guider par la cavale. Il se trouve toujours une porte pour s’ouvrir et me recueillir quelques heures avant que vienne l’épuisement et le sommeil réparateur. Je livrerais quelques images et portraits de ces deux soirées qui furent réjouissantes malgré l’annulation des rendez-vous dont j’étais impatient.

Le dernier matin, je passais un grand oral. Le jury était composé d’une vingtaine de personnes. J’ai revu un instant le septuor qui m’avait audité lors de l'étape initiatique de ma vie professionnelle. Les visages attentifs, fermés ou semi-ouverts, la bonhommie du président, les questions pièges, les questions cons, les regards qui soutiennent assez vite, ceux appuient enfin, les éternellement absents ou statiques voire les regards méchants. Je me suis donné, comme en amour, la comparaison va peut-être te paraître stupide. Il me manquait des réponses aux questions pièges, j’ai trouvé de quoi rebondir, il n’y avait pas de réponse aux questions cons, je crois avoir réussi à ne pas laisser transparaître ce que j’en pensais, je me surveille sur ce point car je peux être cinglant et renvoyer la bêtise à la face, évidemment ne jamais le faire en jury, à éviter dans la vie quotidienne, je crois en tout cas, enfin je me soigne. Le président m’a donné congé en me signifiant la date du résultat. Il me faudrait attendre deux semaines. Je suis sorti de la fosse aux lions, chaud comme la braise, les gouttes de sueur perlaient sous la chemise IKKS (je l’adore), je devais encore supporter la veste. Le conseiller technique m’accompagna dans le salon d’attente, j’ai tenté d’avoir son sentiment, bien sûr il m’a plutôt dit ce qui n’allait pas à son sens. Je suis sorti vidé. Un café, un verre d’eau dans une brasserie qui préparait le déjeuner. Un coup de fil, deux mails pour informer ceux qui m’avaient aidé à préparer l’exercice. Je replongeai dans le métro et j’en sortis à Montparnasse.

J’allais me détendre aux bains d’Odessa. Je n’avais jamais eu l’occasion d’y aller. Ce n’est pas tellement mon quartier parisien et la réputation n’en est pas très tentante. Mais Arthur en avait fait une description pas si désagréable. Et surtout, c’était sur ma route. Pour le délassement, ce fut réussi. J’ai bien aimé le sous-sol avec le bain (parler de piscine serait exagéré), les douches, le hammam et le sauna. Aux étages, je ne retiendrai que la terrasse ensoleillée, on a envie d'y exposer sa peau nue mais le fond de l’air était encore frais, et le balcon intérieur qui donne une belle vision sur le rez-de chaussée et les allées-venues. J’ai parcouru les backrooms du second tant qu’il n’y avait personne – j’y étais à l’ouverture – je n’aime pas, trop sombre mais on le comprend avec le type de fréquentation du lieu. Je savais que la clientèle était plutôt âgée, ce n’est pas ce qui pouvait me gêner le plus – passer un moment avec Robert Redford ou Paul Newman (je sais il est mort, mais c'est pour l’icône), pourquoi pas – mais le genre c’est plutôt Mac Gyver, Alain Juppé, Bruno Masure, Jack Nicholson et Alain Delon – quant à ce dernier je ne parle pas de celui des pubs de parfum qui font encore florès. Ce n’est surtout pas un jugement de valeur, mais j’ai du mal avec ce que j’appelle l’abandon – qui, j’en suis très conscient, n’est pas forcément maitrisable. Si tu voulais analyser cela, il faudrait regarder du côté du père, mais nous n’allons pas faire de la petite psychologie de café de commerce (de flore peut-être ?). Je ne fais que livrer des perceptions. Évidemment, avec ce type de fréquentation tu observes les gens un peu différemment. D’abord à cause de leur propre regard : là je deviens très facilement un objet sexuel. Et puis tu comprends enfin ce qui fait le charme des très gros : leur peau tendue reste d’une douceur juvénile. Il y avait aussi un très beau sexagénaire, ou qui l’était presque. Du genre que tu crois entendre te chuchoter qu’il y a de l’espoir. Il m’a fait penser à Quentin Mallet et certaines de ses tentations vers les personnes plus âgées (pour les lecteurs de son blog, pas celles qui ont pu faire référence au père, si je me souviens assez). J’ai passé un petit moment à juste le caresser et le masser délicatement.

Mais il était temps que je m’escape. Le grand miroir des vestiaires m’a renvoyé une image détendue, c’est bien ce que j’étais venu chercher. Je gagnai rapidement la gare. Il m’a fallu contourner un espace affalé sur le parvis qui était peut-être une micro-fanzone (des grilles ceinturant des équipements sportifs), j’ai failli pester mais je me suis ravisé en pensant aux urbanistes. Dans le hall, j’ai pensé à ne pas sauter un deuxième repas et je me suis arrêté chez Paul. Le serveur était un ravissant black prénommé Eustache, un bel retour d’usage je trouve. Je lui ai dit et en réponse il m’a complimenté sur le col original de ma veste. Il voulait savoir la marque mais je ne me souvenais plus – mon commerce de province mixe les fournisseurs - et je ne me voyais pas l’ôter. Il aurait suffit pourtant que je lise sur la poche intérieure. Eustache, si jamais tu me lis c’est Identity. Quelques mots, des banalités peut-être, des sourires un instant moins anonymes. Eustache, tout à l’heure j’aurais pu te décrocher la lune.

Même la compagnie de chemin de fer était accueillante, il y avait des portiques de contrôle mais ils étaient grands ouverts ; une charmante hôtesse de quai essaya de m’aider à trouver dans la rame des prises de courant qui n’existaient pas, les contrôleurs aux airs de Cocardasse et Passepoil ne supervisaient que l’embarquement d’une nuée méditerranéenne, espagnols et italiens qui mêlaient leurs idiomes dans un retour aux sources.

Mon ordinateur était devenu magique. Les tableaux sur lesquels je m’escrimais depuis une semaine devenaient soudain limpides et les formules s’organisaient soudain avec sens. Enfin, la messagerie téléphonique me délivrait une bonne nouvelle de la banque – celle-là elle m’aura à l’usure - que je n’attendais plus. J’en avais les larmes aux yeux tant le ciel s’éclaircissait sur ce paysage que j’avais vu devenir si sombre ces dernières années. Comme il m’en avait coûté. J’aurais pu en perdre le sens de ma vie.

Le train avait stationné un peu longuement dans une gare. Sur le quai, un jeune homme téléphonait en attendant de monter. Il se grattait le sexe en même temps, le tirant vers le bas de son jean. Soudain nos regards se sont rencontrés. Nous aurions dû en rire peut-être. A peine. Il a poursuivi son étirement. J’ai continué à le regarder. Il était séduisant, très mince, halé, mal rasé, un léger air canaille. Il me rappelait quelqu’un sans que je puisse en dire plus. Un peu tard, dans le sas du wagon - j’allais écrire l’antichambre, quel lapsus ! – j’ai pensé à Alain Delon, celui de Rocco et ses frères, mais pas assez rital, plus maghrébin en fait, un de ces beaux garçons qui doivent nous faire remercier l’immigration qui irrigue nos veines.

Une femme animait une table voisine depuis Paris. Elle avait entièrement kidnappé la conversation de trois jeunes gens qui s’étaient prêtés au jeu avec gentillesse. Maintenant elle échangeait avec quelques voyageurs ibériques. L’homme à verge qui le démange était volubile derrière la vitre du sas, discourant aidé de ses bras avec un compagnon de route. Nos regards se croisaient sans cesse. Une jolie ambiance s’était installée, plaisante, à l’image des trains d’autrefois. J’avais fermé mes tableaux et j’écrivais ces lignes tout en prêtant attention des yeux et des oreilles. De temps en temps, quand le réseau passait, je poursuivais un échange de petits mots anodins avec un nouveau contact, Jo l'impromptu, qui m'avait gentiment accompagné à distance pendant ces trois jours.

Et soudain des raisons d’espérer.




17 commentaires:

  1. " là je deviens trés facilement un objet sexuel " écris tu . Tu as l' audace fort agréable de te livrer (un peu) . Je connais bien les Bains d' Odessa .La clientéle y est généralement trés ouverte .
    Beau billet as usual .

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    1. Dois-je préciser, Paul, que je ne me comporte pas en objet sexuel, je le deviens à mon insu dans leurs regard... ?

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  2. Tu me feras un résumé steuplé, je me suis endormi avant la fin (tu vois bien que je suis méchant...)

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    1. Tu devrais peut-être arrêter de lire ces textes si insipides pour Toi. Tu l'as déjà écrit ailleurs, tu n'aimes mon style, mes sujets, tu ne comprends pas ma quête et ma vie. Je crois même que ça te donne la nausée. Tu ne me comprends pas tout simplement. Tu voudrais peut-être que je sois autre chose, que j'utilise mes capacités à une œuvre plus belle à tes yeux. Je ne construis pas de monument et je ne vois pas de statut du commandeur sur ma route.
      Je suis très heureux cependant de t'avoir aidé à trouver le sommeil,

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  3. C'est très beau quand tu es en colère. Utilise la plus souvent.

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    1. Tu te trompes encore, je ne suis pas en colère.

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  4. Décidément, je ne suis pas doué pour l'écriture hermétique. Qu'est-ce que je peux me tromper !

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    1. C'est bien, tu fais un pas dans la compréhension de toi même.

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  5. Désolé d' avoir mal interprété.
    Perso,j'aime bien être regardé avec concupiscence ;un trouble monte alors en moi .

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    1. Je ne trouve pas non plus la situation déplaisante... loin de là, comme en témoigne souvent ma nature érectile.

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  7. Évidemment, estèf, ton billet ne méritait pas mon commentaire... décalé ! C'était une espèce de joke, voulant marquer que tu avais fait un billet plus long que de coutume, abordant divers sujets sur lesquels, je te l'ai dit, il est parfois malaisé de te suivre.
    Mais non, je ne trouve pas tes billets insipides, et non je n'en ai pas la nausée. Je ne porte aucun jugement sur ton style, dont je t'ai déjà dit que je l'appréciais, à la réserve près qu'il induit parfois de mauvaises interprétations. Mais tu l'assumes, m'as-tu dit. Et si je t'égratigne parfois c'est évidemment parce qu'il me semble que ta quête renvoie à des émotions qui ne sont pas toutes dévoilées. Mais cela t'appartient aussi.
    Désolé de t'avoir irrité aussi maladroitement.

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    1. Au second degré, il y a toujours un risque d'être mal compris, mais ce n'est pas moi qui te déconseillerais de t'en priver.
      Comprends bien que je me livre tel que je suis, il y a bien sûr cette part de mystère qui est une sorte de marque - et j'ai forcément aimé le "délicieusement mystérieux" dont m'a qualifié Tambour-Major en réponse à un de mes commentaires sur son blog - j'essaie de la limiter à ce qui pourrait m'identifier ou révéler certains lieux et ceux dont je parle ; il y a ensuite le fait que j'aie parfois du mal à me suivre moi-même par construction tant ma pensée n'est pas linéaire.
      Tu touches juste sur la difficulté à dévoiler les émotions. J'expliquerai cela une autre fois. Promis.
      Et je le répète, je n'ai eu ni de colère, ni d'irritation, c'était seulement une incompréhension face à cet insistance à me lire, j'ai pensé même acharnement, alors que tu semblais y trouver si peu d'intérêt.
      Donc acte...

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    1. Décidément....
      Je te renvoie à la citation de Gougaud en exergue sur mon profil...

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  9. Dites donc , ca chahute ici!!!! Bon, vous avez tous les deux des styles différents, et êtes interessants pour ça. Estef , tu as un style que je trouve magique, et pas du tout ambigü ou mystérieux...parfois, il faut peut-etre relire une phrase une fois pour bien saisir, mais ce que j'aime chez toi, c'est cette facon de dire les choses, tout en nuances, et sans en mettre des tonnes pour que le lecteur comprenne bien...tu devrais ecrire de la poésie, d'ailleurs....mais peut-etre qu'on comprends bien que si on a déjà ressenti le même genre de sentiments, d'émotions? ce qui ferait que certains lecteurs comme Celeos peut-etre ne saisirait pas la nuance? pourtant, il me semble Celeos assez proche de nos vécus, mais peut-etre me trompe-je? Celeos parle peut-etre moins souvent de lui, et plus souvent de thèmatiques plus en résonnance avec l'actualité. En tious les cas, je suis fidèle lecteur des deux, même si en ce moment, je commente assez peu...

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    1. merci Arthur, c'est réciproque, on doit avoir beaucoup de points communs pour se comprendre facilement !

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