vendredi 31 janvier 2014

Des peurs

Il fallait y aller. C'était peut être la dernière fois. J'en étais arrivé à l'espérer pour elle. Il y a un temps pour tout. Quand la vie te lâche autant ne pas risquer l'horreur absolue. Je ne souhaite à personne la vie d'une plante d'appartement.
J'avais organisé mon voyage comme un manche, je suis parfois meilleur quand je fais les choses vite. J'aurais aimé faire une pause dans le parcours, penser à autre chose, avoir le temps d'aider un pote dans ses résolutions de l'année, mais la correspondance était trop juste.
Je regrettais de ne pas avoir d'appli pour détecter des présences intéressantes dans le train, mais c'est trop risqué pour moi de faire un tel téléchargement sur ce phone.
Et ce n'est pas évident d'entrer en contact aujourd'hui dans un train.
Je me souviens des trains verts d'autrefois. Avant la clim des wagons corail, la chaleur estivale, les hommes en bras de chemise ou en marcel, les paniers en osier qu'on ouvrait pour le pique-nique, les sourires, les conversations animées. J'ai l'impression qu'on se parlait facilement. Et les contrôleurs joufflus et rubiconds ! On ne risquait pas de fantasmer.
Autant je trouve les trains froids désormais, autant les contrôleurs... À la base, la tenue est un peu plus sexy qu'avant, mais paradoxalement dans un monde où de plus en plus d'hommes jeunes se lâchent de la ceinture, je croise souvent des contrôleurs que j'aimerais bien contrôler moi-même. Comme celui de tout à l'heure.
Je continue le voyage à la recherche d'un plaisir des yeux.

Je suis sur le quai, le train suivant à du retard. Je suis à la peine d'entendre cette voix qui prononce le nom de ma ville avec un accent abominable.
Un jeune homme aux cheveux longs,  tapote sur son téléphone, la frange sur le nez. Je m'imagine à cet âge. Quand même pas si longue la frange.
Un gars m'adresse la parole alors que j'ai les yeux rivés sur un clone de Maurice. Comme quoi, on se fait à l'inexpression, je suis surpris et je grommelle un truc. Pas de chance pour lui, je ne suis pas en mode empathique. Pas question d'engager une conversation sur la pluie, les retards ou le point de croix. Je sais faire mais pas maintenant. Le clone a changé de place. Une fin d'adolescence passe et se pose à côté de ma valise. Je devais ressembler à ce visage mangé par les cheveux, isolé par les lunettes. Tiens, il m'a regardé du coin de l'œil.
Le blagueur cherche toujours un auditoire. Il s'est rabattu vers la gent féminine. Sauvé.
Un autre jeune homme, joli visage mais débordé sur la ceinture. Mais il me fonce dessus... Je fais un écart, raté pas du bon côté, maladroit, comme quand on me fait la bise, ça risque toujours de finir sur la bouche. Il paraît qu'il y a une règle implicite, possible mais je ne suis pas parfaitement latéralisé, donc chaque fois j'y vais au filling.
Le plus beau du quai arrive. Belle tête, cheveux souples et barbe auburn. J'aime beaucoup. J'ai pu ressembler à. Sa barbe doit être soyeuse, j'imagine le contact, je pense à Valentin. Le premier toucher. Il s'est arrêté à côté de moi. J'espère qu'il va monter dans le même wagon.
Raté encore, le train arrive, il monte dans le 15, je suis au 17.
Je m'installe. Le voilà soudain, mais je suis trop loin pour l'observer.
Seul avec mon ordi et le phone, je n'ai plus guère à espérer de cette séquence. Je n'avais pas pensé au vendeur de boissons, un joli black au sourire charmeur dont j'ai frôlé la main.
Je vais essayer de travailler un peu.
J'ai du mal, le train à 30 mn de retard à rattraper et ça tangue dans tous les sens. Je n'aurais pas du fumer sur le quai, j'ai la nausée. Et puis un beau gosse vient de passer, cheveux coiffés en arrière. 
Les paysages ont changé, comment ne pas penser à Maurice. Il faut que je te raconte la suite, mais là pour le moment, je suis à deux pas de chez lui. J'arrive à cette gare, où il m'attendait il y a deux ans déjà. Nous nous étions perdus ensuite dans les terres anciennes du littoral. Je te dirai plus tard la peau et la saveur de Maurice. Après une telle aventure, on peut partir, la bouche pleine de groseilles.
Le train ne s'est pas arrêté, Maurice est si loin maintenant.
Arrêt suivant. Correspondance ratée, dommage, j'aurais préféré ne pas trainer dans cette gare. Je ne suis pas revenu ici depuis.
Le hall est bondé. J'observe. Puis j'ose sortir et regarder la ville. Ce jeune garçon qui va et vient, me sourit en passant. Je ressemble à quoi ? Je doute soudain, tout ces pas que je croise. Des grands et des petits. Des qui tâtonnent, des corps qui fléchissent. Soudain, j'ai peur de ce qui m'attend. Je me dis que demain j'irai courir, pour retarder ça.
Puis j'ai peur de le croiser. J'ai trop regardé la ville. Je peux pas l'envisager sans lui, sans penser qu'il n'aura plus une heure à me donner sans réserve.
Je descends sur le quai fébrile, je dois avoir l'air terrorisé. Je me calme, même ce gamin dont les pieds dépassent du quai quand le train s'arrête me fait flipper.
Nouvelle étape, le train est bondé, je suis coincé. Rien à voir. Même pas un contrôleur.
J'arrive au bout, dernière correspondance. Ce coup ci on m'attend. Je ne vais pas vers le meilleur.




4 commentaires:

  1. J'ose : http://www.plumedargent.com/viewstory.php?sid=1481
    Les voyages en train... Parfois des rencontres, toujours des souvenirs, souvent des regrets.

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    1. J'avais oublié ce site, merci de me le rappeler. J'aime bien cette histoire.
      J'essaie de ne pas avoir de regrets, juste un peu de mélancolie...
      Un pseudo peut-être ? Pour mon imagination, et si tu reviens.

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  2. J'avais laissé un commentaire..mais il n'apparait pas. Je disais juste que comme toi, je n'arrete pas de regarder les mecs....jusqu'aux controleurs qui sont de plus en plus sexy, même s'il ne faut pas en faire une généralité...

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    1. erreur de clic ?, je ne modère pas, donc les commentaires apparaissent tout de suite... pas de généralité en effet, les derniers que j'ai croisés m'ont laissé de marbre. Et tu sais, ça m'arrive aussi de regarder les filles, celles qui matent, comme hier en encore dans le train, une très jolie qui me suivait du regard chaque fois que je me suis déplaçé, l'air de rien en contribuant de converser avec ses collègues...

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