A l'école primaire, je me faisais traiter de femmelette par les durs de la cour de recréation. Au collège, en quatrième, il y eu cette terrible fois où le beau Pep s'est retourné vers moi en plein cours, et s'adressant à son voisin qui le badait niaisement s'exclama : "on dirait un pédé". Sans déplacer mes jambes croisées qu'il avait pointées avec mépris, j'avais soutenu son regard sans un mot. J'ai régulièrement croisé ainsi jusqu'à la vingtaine, des gars qui me toisaient et me faisait comprendre plus ou moins directement que j'avais des traits et un caractère trop hybride à leur goût. Il s'agissait la plupart du temps de bons sportifs qui peinaient dans les exercices intellectuels où j'excellais en affichant un certain dégoût du sport en particulier collectif.
J'ai appris à me protéger par l'indifférence feinte puis, plus tard, par le verbe.
Contrairement aux autres, je crois que savais pas sexuer ma pensée, je manquais de vocabulaire spécifique et la plupart des concepts lies à la sexualité m'échappaient complètement. Ne sachant même pas trouver mon propre plaisir, il m'était difficile d'imaginer certaines choses. Parmi les autres images qui me reviennent, je repense à celle de Paul près des cages de foot et son soudain "putain je bande" alors que nous discutions tranquillement, l'action n'étant jamais de ce côté du terrain. Là aussi, je n'ai su que faire à part laisser échapper un regard étonné. J'ai revu Paul quelques années plus tard, il m'a paru très clair qu'il aimait les garçons.
Divers comportement de mes proches dans les cercles familiaux, amicaux et scolaires, et ma propre personnalité, m'avaient conduit dans une forme d'enfermement. J'avais fini par développer trois vies parallèles, la vie courante, où j'étais en situation de protection maximale, je veillais notamment à y exprimer le moins possible de sentiments et d'émotions, la vie scolaire, dans sa restriction au temps de classe, dans laquelle j'étais vivant et réactif, à part dans les cours tenus par des enseignants que j'identifiais comme dangereux, et enfin une vie secrète, qui sortait rarement à cette époque de mon esprit, sauf pour quelques activités discrètes, des petits bricolages ou des prises de notes tirées de recherches dans le dictionnaire, que je cachais soigneusement à mes proches pour ne pas avoir à m'en justifier.
Je suis sorti de l'enfance finalement assez tard, après 15 ans.
Un copain d'enfance avec lequel je n'avais jamais eu une grande proximité auparavant m'a fait sortir tout doucement de mon isolement. À cette époque nous nous somme vus souvent tous les deux, avec de longues discussions dans nos chambres respectives. Je ne me souviens plus de quoi nous parlions mais je percevais alors que je pouvais dans ma vie courante tenir une conversation, exprimer des sentiments sans être jugé ou renvoyé à un statut d'infériorité. Je m'étais même laissé dire que je pouvais avoir du charme alors que j'étais persuadé de n'être qu'un repoussoir. Dès lors ma vie courante et ma vie de classe ont commencé à se croiser plus souvent.
Je comprend aujourd'hui avec émotion que cet ami m'avait offert un cadeau merveilleux, l'estime de soi. Les larmes me sont venues et je ne les repousse plus comme je l'aurais fait il y a peu.
ll m'a fallu très longtemps pour apprécier ce cadeau à sa juste valeur et en faire bon usage. Ma vie secrète est restée comme un refuge et une respiration.
Ton texte m'ouvre des perspectives. il me faut aller chercher par là-bas, effectivement, de ce temps où comme tu le dis si bien, je ne comprenais pas mon "caractère hybride", les blagues de mecs, les injures de pédé à tout bout de champ, et où je n'arrivais pas à me méler à ces combats de cour de récré, de foot ou jeux de ballons...je restais plutot à discuter avec les uns, avec les unes et les autres....ou à garder ma vie secrète également. Pourtant, j'avais une vraie bande de copains , où on se disait(presque) tout...c'est là que j'y ai trouvé mon premier amant
RépondreSupprimerAh, ces combats de coqs ! Ça me fait penser que tu me dois une image !
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