lundi 1 octobre 2018

Cher Basile

Je t’écris ici. À quoi bon t’envoyer cette lettre. Ce serait sans doute retourner un couteau dans une plaie réciproque.
J’aurais aimé des garçons sans rien pouvoir leur donner en retour. Ou si peu. Du moins pas ce qu’ils étaient en droit d’attendre.
La dernière fois que l’on s’est vu je te savais plutôt disponible et tu as répondu aussitôt. J’ai dû décaler mon arrivée de deux heures et réduire notre rencontre à la portion congrue mais ce n’était pas grave. Tu étais là devant la gare. Nous sommes allés vers le centre-ville et nous avons bu quelque chose de léger en terrasse. C’était un plaisir de t’écouter et de te parler.
Soudain j’ai pensé à te dire ce qui m’avait traversé l’esprit quand ton sms m’était arrivé pendant le déjeuner avec les collègues. J’avais oublié de te dire mon prénom. Tu m’appelais encore Étienne. Je t’ai dit cela et quand tu as su mon état-civil, ce prénom si daté, tu as eu une moue en disant que tu n’aimais pas et que tu continuerais à me nommer Étienne.
Je n’avais qu’une heure. Tu m’as raccompagné sur le quai. J’étais surpris que tu restes jusqu’au dernier moment. On a fait glisser deux bises légères, car tu n’es pas démonstratif et moi non plus.
J’ai eu ce mot amusant que Valérie avait trouvé pour François et j’ai trouvé ça si ridicule que je t’ai envoyé plus tard un sms tout aussi ridicule sans doute.
Je pensais te revoir cette semaine. Entre temps nous n’avons eu que quelques mots via la plateforme. Pourtant tu te connectais assez souvent mais je me demande si ta connexion n’est pas automatique dès que tu ouvres ton navigateur. Tu n’es pas très geek.
Hier quand je t’ai contacté pour te rappeler ma venue, tu n’avais pas oublié. Tu souhaitais simplement ne pas me voir. Il y avait un ces temps-ci dont je n’ai pas su s’il se rapportait à moi ou à ces aucuns autres quelconques garçons que tu ne voulais pas rencontrer non plus.
Je connais ce sentiment de vide que j’ai vécu avec Maurice ou d’autres qui un jour ont fermé la porte entrouverte. Je n’ai pas à m’en plaindre. J’ai choisi de vivre certaines fidélités et en même temps de jouir d’une liberté limitée.
Je t’ai dit mes mots d’adieu et mon espoir pour toi.
Que pouvais-je espérer d’autre ? Déjà tu n’étais pas prêt à me rencontrer à cause de cette liberté limitée. Tu as fait une exception. J’avais trop excité ta curiosité. Je sais aussi que cette exception s’est confirmée dans ton lit. À partir de là, sans doute ne pouvais-je que te faire souffrir. Bien sûr j’avais espéré une de ces relations fortes d’amour-amitié, dont tu aurais pu te libérer à tout moment le jour où tu aurais rencontré quelqu’un. Le problème est quand le quelqu’un est déjà tout trouvé.
À quoi bon parler, te poser des questions dans ce cas. Je n’ai pas eu de mal à respecter ton choix. Je sais ce qu’il en est. Maurice ne m’a plus jamais écrit. Steve ne voulait plus me revoir même s’il a fini par déroger. Le nouveau Steve a fermé son profil après m’avoir quitté en pleine nuit. Hans m’a fait des scènes épuisantes jusqu’à ce que je coupe les ponts. Seuls celui qui se reconnaîtra en me lisant et Philippe ont pu vivre cela. Mateo s’y est fait avec beaucoup d’aigreur. J’espère surtout ne pas t’avoir perturbé.
Ce qui nous arrive est l’un des risques qui me trouble le plus. J’aime ces relations complètes avec un garçon. Je ne peux me résoudre aux seuls plans même si je peux y trouver un grand espace de partage.
Cher Basile, je sais que je pourrai avoir de tes nouvelles. Contrairement à Maurice tu laisseras plus de trace sur la toile. Je saurai t’y trouver et penser à toi avec bonheur.
Je te souhaite le meilleur. J’espère que tu le rencontreras. J’aurais aimé t’offrir ce livre* qui m’a fait tant de bien. Car nous sommes fait de la même pâte. Tu ne veux pas le voir mais il faudra t’y résoudre.
Le vie est trop courte pour attendre et trop longue pour s’en passer.
Basile, ce fut un plaisir immense.
Je pense fort à toi.
Étienne


*Trop intelligent pour être heureux ? L’adulte surdoué. Jeanne Siaud-Facchin. Editions Odile Jacob




















































2 commentaires:

  1. J'avais écrit un jour comme une boutade " On m'a souvent dit que je serais un tombeur ; et c'est vrai si je compte les cicatrices" et ton récit décrit si bien ce qu'elles peuvent être des deux côtés du miroir

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    1. Merci Joseph. Ces cicatrices sont à l’image de celles de nos artères, elles ne se ferment pas vraiment, elles se recouvrent de quelques et emplatres.

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