samedi 16 septembre 2017

Je venais d'avoir vingt ans

Je venais d'avoir vingt ans. Cerise allait mourir. Il n'y avait plus d'espoir. La clinique l'avait faite ramener à la maison pour qu'elle puisse partir entre les siens, son mari, les enfants et la veuve noire. Je l'ai su le matin même et j'ai pris la route toute de suite malgré les forces obscures de la rancune tenace qui voulaient m'empêcher de partir. J'avais tenu bon et menacé de prendre le train. Finalement, les forces déposèrent pour une fois les armes et mon père se décida à venir. Ma mère trouva cependant un prétexte fallacieux pour rester à la maison. Je constatais encore une fois que son cœur de pierre était de granit.
Nous trouvâmes Cerise dans un état pitoyable. Nous ne nous étions pas vu depuis presque dix mois. Nous savions tous que la vie s'en allait de ce corps maigrelet mais il n'en fallait rien dire. Ses regards n'étaient pas dupes. Elle fut heureuse de me voir et reconnaissante à mon père, d'une certaine manière malgré tout ce qui les opposait depuis toujours, d'avoir fait le trajet. Elle ne douta pas de ma responsabilité dans le voyage, il n'était besoin d'en parler, les histoires anciennes qui ne concernaient que leur génération, comme celles de l'été précédent, n'avaient plus guère de sens dans ces brèves échéances. Nous passâmes deux jours dans une maison où le temps était suspendu à son souffle. Je m'asseyais sur le bord de son lit et lui prenait la main, nous parlions à peine, elle me regardait surtout et il me fallait garder les yeux souriants dans les siens. Nous partîmes avec la promesse de revenir le mois suivant pour cette fête qu'elle tenait à organiser pour une de ses filles malgré son état. Personne n'imaginait qu'elle serait encore là et que la fête aurait lieu.
Nous revînmes pourtant, avec ma mère cette fois.
La fête fut belle. Elle était heureuse. Pour elle, je m’habillais comme je n'aurais jamais imaginé le faire, délaissant jean et chemise débraillée. De temps à autre, elle allait s'allonger. La salle à manger était pleine à craquer, les enfants allaient et venaient vers la cour, les hommes en bras de chemise, les femmes au service, dans un de ce repas d'antan qui serait le dernier d'une longue lignée.
Je venais d'avoir vingt ans, Cerise partait, j'étais vierge, aucune autre main que la mienne n'avait touché ce corps depuis la fin des tendres caresses à l'enfant, depuis aussi que j'avais rejeté la main de ma mère sur mon prépuce serré, depuis cette angine aussi où Cerise m'avait glissé un suppositoire à ma demande - j'avais peur de ne savoir le faire - et avait en riant après l'acte tiré légèrement les poils de là où tu imagines me faisant comprendre que j'étais devenu bien grand.
Cerise avait une amie de son âge qui l'accompagnait dans son calvaire. Une femme qui avec elle qui s'occupait assidument des œuvres paroissiales. Elle vivait seule, je crois que son mari l'avait quitté, ses enfants étaient partis vivre leur vie. Il y avait du monde à loger, j'avais prévu de dormir sur un matelas dans la salle à manger. Cette femme avait insisté longuement et à plusieurs reprises pour que je vienne dormir chez elle. Je pouvais dormir dans la chambre de son fils. Je crus qu'elle avait envie de voir cette chambre occupée et qu'elle voulait combler un peu sa solitude de mère. Je compris dans ses yeux qu'elle m'invitait à dormir dans son lit à elle. Avait-elle compris mon ingénuité et proposait-elle de me déniaiser ? Je résistais à la proposition, à l'offrande devrais-je peut-être dire. Cerise vint à mon secours, avait-elle deviné ce qui se tramait dans cette insistance, ma réserve à accepter ? Je ne craignais pas de partir avec cette femme et de découvrir l'amour entre ses bras. Non, seulement je n'imaginais pas quitter la maison de Cerise, m'éloigner d'elle un instant alors que j'allais repartir le lendemain même, et surtout connaître le plaisir tandis qu'elle se mourait.
L'été vint. Cerise survivait à l'étonnement de tous.
J'étais reparti sur les mers. Le soir, je subissais la pression d'un petit gars, sec et rasé, bien musclé, qui jouait le dur dans notre poste d'équipage. Il m'interrogeait régulièrement sur mes conquêtes, lui qui étalait les siennes avec force détails, me traitait de puceau. Je m'en tirais avec détachement, des sourires en coin, mais il n'était pas dupe et me soupçonnait d'être gay ce que je n'imaginais pas encore moi-même. Je crois que je dois à la police du bord de n'avoir pas fini avec un tournevis dans le fondement comme cela se passa dans un autre poste lors d'une soirée arrosée. Le capitaine d'armes et ses deux adjoints m'avait trouvé trop intellectuel et fragile pour qu'il ne m’arrivât pas quelque chose. Je compris à la longue que j'étais sous protection. Je ne m'en servais pas mais je vécu tranquille.
La chose me tiraillait, je devais en finir mais il n'était pas question que j'use d'une prestation tarifée comme la plupart de mes congénères le pratiquait à chaque escale, racontant ensuite dans nos veillées maritimes comment ils s'étaient succédés les uns après les autres avec la même fille, et surtout comment un seul d'entre eux avait attrapé la chaude-pisse. En Écosse, je croyais être prêt du but. Avec mon meilleur pote, nous avions entrepris deux copines rencontrées dans un pub où nous buvions une bière ambrée délicieuse. J'étais assez honteux de la drague intense que nous avions engagés, je ne me reconnaissais pas, mais il s'avéra qu'elles étaient moins faciles que nous l'avions imaginé. Nous repartîmes bredouilles...
Au cours de l'été, je passai quelques jours de vacances à l'océan avec mes parents. Je perdis mon pucelage par une chaude nuit à deux pas de la plage. On avait d'abord dansé ensemble dans la petite boite de nuit. Elle me plaisait bien mieux que la petite écossaise. Elle avait refusé mes avances - elle avait un copain - puis s'était décidée. Elle avait ri de ma rapidité maladroite lors d'un premier assaut que je ne saurais qualifier autrement. On avait trouvé ensuite une pièce ouverte dans le foyer, où à même le sol sur une natte rêche, j'ai vraiment fait l'amour pour la première fois. Elle avait ri encore quand elle s'était aperçue que j'avais gardé mes chaussettes. Nous allâmes ensuite dormir dans la grande tente qu'elle partageait avec d'autres filles. Au lever du jour, je rejoignais discrètement le bungalow de mes parents.
Un peu plus tard, la nouvelle tombait. Cerise nous avait quitté dans la nuit. Je restais sidéré devant tant de coïncidence. Longtemps, je n’eus plus de plaisir. L'amour m'était devenu comme une mécanique dans laquelle je cherchais éperdument un déclic.




2 commentaires:

  1. La petite mort, la grande. Il faut passer de l'une à l'autre en évitant l'effroi. La petite magnifie la grande.

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    1. C'est que j'ai appris avec le temps, je suis sorti de mon cocon trop brutalement.

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