mercredi 22 décembre 2021

Inter, mon amour

Mardi 14 décembre, j'étais sur la route et j'ai intersecté une chronique et un début d'émission sur ma radio préférée mais que je n'écoute quasiment qu'en voiture. Je n'en saisis donc que des bribes mais cela suffit à entretenir une affection indéfectible.

Avec Alex Vizorek, j'ai pu mettre enfin un mot sur une autre affection, psy celle-ci, dont je souffre depuis des années. Je suis natalophobe. Je crois avoir aimé cette fête quand j'étais enfant, quand je ne participais pas à son organisation, ou plutôt de manière annexe sur les décorations. Je suis devenu natalophobe au fil du temps, en subissant la préparation, tous ces rituels et passages obligés, les charges mentales de l'avant, les minutages du pendant et les dépressions de l'après. Je me laisse un peu plus porter désormais, j'accompagne et j'acquiesce. C'est ce qu'on attend de moi. A quoi bon batailler pour faire plus simple et spontané ?  Ce billet m'a donné un grand sourire intérieur, je ne consulterai pas pour ma natalophobie...

Après les infos, Augustin Trapenard recevait Virginie Ledoyen, avec une très belle introduction en cri du cœur et confidences. Pour retranscrire ce très beau texte, je l'ai écouté plusieurs fois et je suis encore transporté par sa voix, le rythme et la force de ce qu'il dit.

"Je ne parle pas de nulle part et de n'importe où ; dès lors que je m'adresse à mon invité ou à vous, il me semble important de me souvenir et d'assumer et de vous dire d'où je parle, de quel endroit même si je préfère le questionnement à l'affirmation, je m'efforce de ne jamais prendre partie ou très rarement, même si c'est malgré moi, 

 je ne parle pas de nulle part,

je parle d'abord d'un endroit de pouvoir qui est ce studio que j'occupe tous les matins, ce studio d'une chaine publique nationale, 

je parle dans ce micro qui est depuis 8 saisons, 1522 émissions, un amplificateur de voix, une caisse de résonance, un catalyseur qui me propulse vers une large audience et dans une position de fait de dominant,

je parle depuis une classe qui est sans doute la bourgeoisie

je parle en tant qu'homme, c'est assez évident, en tant qu'homme blanc de 42 ans, 

je parle depuis le monde dans lequel j'ai grandi, quand bien même comme tout le monde je m'en suis un peu émancipé depuis la banlieue ouest, les paysages d'Auvergne et le centre de Paris, avec un détour par l'Angleterre et les États-Unis, 

je parle depuis tout ce qui m'a construit, mon éducation, ma formation d'enseignant, mes lectures, mes rencontres, une multitude de gens, tout ce qui fait mon encyclopédie,

je parle aussi depuis les marges d'une sexualité qu'on n'a pas toujours forcement acceptée, 

je parle depuis une multitude d'identités que je n'ai pas forcement choisie mais avec laquelle je compose ; vous vous dites peut-être que ça ne devrait pas s'entendre, mais soyons honnête à défaut d'être transparent, quand on prêt l'oreille tout s'entend. "

Virginie Ledoyen dit ensuite avec autant de force, un extrait de Nona et ses filles, une série à voir sur Arte :

"Je ne vous parle pas, d’en haut, je vous parle d’en bas. Je vous parle d’un endroit où la peur, la responsabilité et la culpabilité s’entremêlent. D’un endroit, où l’on est seule pour affronter les hommes. D’un endroit, où l’on est, ni la maman, ni la putain. 

Je vous parle d’un endroit que vous, les hommes, ne connaissez pas. Vous ne connaissez pas la douleur des règles ni celle de l’accouchement ! Vous ne connaissez pas l’injonction d’être mince, d’être belle, d’avaler des pilules pour ne pas avoir d’enfant, d’être épilée, bien habillée, pas trop long, pas trop court, pas trop surtout… Mais pas trop quoi ? 

Être une femme, sans être une menace, être une femme en restant à sa place, mais laquelle ? 

Celle donnée par les hommes dans un cadre restreint ? 

Je vous parle d’un endroit qui n’existe pas. D’un endroit pour lequel je me suis battue : le droit d’avoir ou non des enfants, le droit d’avoir une sexualité libre. 

Mais, je suis enceinte à un âge où ça n’arrive plus, je croyais pouvoir baisser la garde, jouir en toute liberté et rompre enfin avec la peur, la responsabilité et la culpabilité. Aujourd’hui, je ne peux pas faire autrement que d’avoir cet enfant. Je dois aller au bout et le mettre au monde. Je ne le connais pas, je ne le voulais pas, mais il vit en moi et commence à me charmer.

Je vous parle aussi de cet endroit, celui de l’ambivalence interdite : aimer ses enfants avant même qu’ils naissent et vouloir garder sa liberté. Allaiter et vouloir retrouver son corps, être mère et regretter sa vie d’avant. Dans cet endroit nous n’avons pas le droit de nous interroger, ni de douter, sans se sentir coupable. 

Je vous parle d’un endroit que les hommes ne connaissent pas, c’est certes l’endroit de la peur, mais aussi celui de la puissance matricielle.

Cet endroit, vous pourriez y venir… Vous pourriez avoir la curiosité de voir ce que nous y voyons. 

De la liberté, de la sororité, de la solidarité, un endroit où l’on sait ce que c’est que risquer sa vie pour donner la vie. Un endroit où l’on n’est pas une mais plusieurs, un endroit de sédimentation, d’addition, où l’on doit se battre pour les mêmes salaires, les mêmes responsabilités, pour ne pas se faire tuer par un amant qu’on quitte ou un mari jaloux. 

Je vais vous dire une chose, messieurs, vous perdrez. Vos avantages, vos privilèges, c’est dur, je vous comprends. Mais ne soyez pas immatures, vous avez été gâtés, et c’est fini. 

N’ayez pas peur. Laissez-nous vous aimer comme des hommes et pas comme des enfants… 

Cette infime perte pour vous est en réalité une immense avancée vers une société équilibrée  où la honte n’aura plus sa place Chaque pas sera une marche vers un peu plus de justice, d’égalité et de fraternité. 

Je vous parle d’un endroit que je n’ai pas choisi, celui de mon sexe, c’est ainsi. Je suis née avec ce sexe et je me suis construite volontairement avec l’identité d’une femme, de zéro à soixante-dix ans.

Ce soir, j’aime être cette femme, plus ralentie, plus en retrait, mais pas moins humaine, pas moins mère, pas moins grand-mère, pas moins amoureuse. Je ne sais pas pourquoi vous êtes là, agglutinés en bas de chez moi, à mes pieds. Je ne sais pas à quoi vous serviront vos téléphones, vos caméras, vos papiers. 

Mais je sais qu’il faut que je vous parle à toutes, à tous ! Alors courage, tenez ferme la barre. L’horizon est enfin dégagé. Voici permis à nouveau toute audace de la vie en commun !

Inter, mon amour.

PS : Mardi 14 décembre, c'était aussi l'anniversaire de ce blog. 8 ans.

8 commentaires:

  1. C'est amusant : "natalophobe" moi-même, j'évoque la chronique d'Alex (un copain, par ailleurs) dans un billet que j'ai programmé pour demain jeudi. Je suis également "Inter-addict" depuis bien des années.

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    1. Et si vous avez écouté la chronique, à ne pas confondre avec nathaliphobe 😉. Oui j’avais compris ce trait commun !

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  2. 1/ Estefou : pourquoi vous avoir donné la peine de retranscrire cette émission alors que l'on peut l'écouter en podcast : https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-du-mardi-14-decembre-2021
    2/ Silvano : je vous croyais plutôt France Culture ou France Musique

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    1. Ah uvdp, je me suis posé la question moi-même ! Mais dans ce cas pourquoi Inter sur son site a-t-elle retranscrite le texte dit par Virginie Ledoyen ? Je voulais passer par l’écrit, poser les deux textes à la suite. Et j’ai aimé l’exercice. Par contre, j’ai oublié d’inclure le lien vers l’émission car il faut les entendre ! Je l’ajoute.

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  3. Inter mon amour! et augustin, idem!! j'adore cette voix chaleureuse et qui donne l'impression qu'il ne parle que pour toi, pour te transmettre de la bonne énergie, et te rendre plus intelligent!

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