Le plus gros poisson qu'on ne m'ait jamais collé

Philippe m'envoie un petit message. Tu connais Hugo Stan ? Si je le connais ? C'est l'un de mes deux meilleurs amis de ma vie au grand jour. Je réponds. Pourquoi ? Je suis déjà légèrement fébrile. Comment peut-il avoir entendu parler d'Hugo ? C'est mon amant... Je crois rêver.
Souvent je me suis demandé à quel moment les limites parfois ténues entre mes deux mondes pourraient soudain s'effacer. Quand les digues savamment construites pour séparer deux courants s’effondreraient ou même sans aller jusque là se mineraient par endroit ouvrant quelques passages. En réalité, ces deux mondes connaissent déjà une légère porosité.
Mais que Philippe ait rencontré Hugo et qu'il envisagent de se mettre ensemble... Car c'est bien de cela qu'il s'agissait. Au fil des questions que je posais, Philippe répondait avec des précisions qui collaient parfaitement. Elles entraient en résonance avec des questions que j'avais pu me poser sur des sujets qu'Hugo et moi n'avions jamais abordé malgré notre amitié et nos échanges parfois intimes. Philippe disparaissait régulièrement du tchat. J'étais tenu en haleine. Vers la fin de la soirée, la conversation fut plus soutenue. J'hallucinais. Je ne voulais pas le croire au début mais les recoupements possibles étaient terriblement sensés. Sauf à la fin, où une affirmation me sembla peu plausible. Mais il était tard, je m'endormais difficilement. Ma nuit fut agitée, ponctuée d'un grand cri qui me réveilla haletant. J'imaginais Hugo quittant sa famille à laquelle nous sommes très attachés. Philippe lui avait laissé comprendre qu'il me connaissait, le monde est petit, nous fréquentons tous trois le pays taiseux. Je voyais les digues se rompre. Comment ne pas dire à Hugo que j'avais couché avec Philippe ? Et pourquoi ne pas le dire d'ailleurs !
Au réveil, j'envoyais un nouveau message à Philippe. "... je suis très touché par cette histoire, votre histoire... notre histoire. Une histoire dont je connais tous les protagonistes, vous deux, sa femme, les enfants, et avec beaucoup d'affection pour chacun et espérant le meilleur pour chacun d'entre vous. Et forcément dans tout ça il va y avoir un mélange de tristesse, de déchirement, de nouveau départ, de bonheur... c'est la vie, avec tout ce qu'elle de terrible, de fort, de surprenant, tu connais déjà tellement ça toi-même. "
Pas de réponse. Toute la matinée, le fond de mes pensées est occupé.
A midi toujours rien.
Après le repas, je regarde à nouveau. Je trouve enfin un message " Bon allez je cesse de te faire halluciner. Je t'ai fait un beau poisson d'avril 😉 avec un peu d'avance ... J'ai juste vu Hugo sur Facebook, je l'ai trouvé charmant et comme il était ami avec toi ça m'a donné cette idée cauchemardesque pour toi !! "
C'est énorme. Je l'appelle. On en rit. On en profite pour prendre des nouvelles.
Je suis soulagé mais beaucoup de choses ont été remuées. Mon regard sur Hugo en a même été changé. C'est très bizarre. J'y pense encore, il me faudra quelques jours pour évacuer, avec sans doute un billet pour livrer quelques souvenirs qui ne sont revenus à cette occasion.