mercredi 11 mars 2015

Je remontais la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie


J’avançais à grands pas montagnards. Il était deux heures du matin. Je me suis mis à imaginer le Paris du XVIe siècle décrit par Zévaco. Les rues coupe-gorge. J’ai entendu un appel derrière moi.
Je me suis retourné. Un gars gesticulait. Un frisson m’a parcouru. Il a proféré autre chose. 3 euros, ai-je cru entendre. Comme je pressais un peu plus le pas, il a crié. Au bout de la rue, j’ai tourné à droite pour rejoindre la rue de Rivoli et continuer par la rue Saint-Antoine.

Je rentrais du sauna. J’avais passé une bonne journée de travail suivie d’un diner. Rejoindre la petite chambre d’hôtel après la nuit précédente passée dans les bras d’un homme raffiné ne m’enchantait guère. Comme toujours dans ces déplacements je n’avais pas sommeil. J’ai fureté un peu sur le site habituel. J’ai échangé quelques messages avec ce garçon de la veille. Il s’apprêtait à filer sous la couette, seul pour cette nuit. J’avais besoin de savoir si on s’autoriserait une autre fois. Ou plutôt s’il voudrait, car moi tu le sais, je suis si prompt à replonger dans un abime de tendresse.

Je suis parti rasséréné au sun. Je m’étais pourtant bien juré de ne jamais y revenir mais j’avais lu que l’établissement s’était amélioré, je crois chez Quentin Mallet, plus l’avis d’Arthur dans son ébauche du guide Montignac des saunas de France. J’évacue tout de suite la question. Je n’ai rien trouvé de nouveau, simplement l’eau du grand jaccousi était réellement chaude. Côté propreté, jamais je n’avais vu autant de préservatifs usagés joncher le sol des backrooms ! Peut-être faut-il y voir le bon signe d’une recrudescence de la protection ?

Le hammam où j’aime à m’étendre allongé était bouillant et peu fréquenté. J’y ai fait quelques séjours mais j’étouffais très vite, dégoulinant de sueur. J’alternais avec des douches glacées.

Les étages étaient comme un lundi eux aussi, avec une concentration pas si courante dans les backrooms. Je me suis plu à jouer de ces passages entre corps. J’ai eu suffisamment peur à différentes occasions pour apprivoiser ces lieux et maîtriser dans une forme d’abandon vigilant les réactions intempestives. Un gars assez grand au torse bien développé et au front haut m’excitait assez. Ses pectoraux formés aux tétons introuvables et à la douce toison m’avaient fasciné. Nous nous sommes trouvés à différentes reprises, sans aller très loin. Son sexe était long et ne bandait jamais. Au bout d’un moment il s’échappait furtivement. Une fois, il m’a dit quelque chose que je n’ai pas compris. La parole est si rare ici qu’il faut savoir l’attraper au vol quand elle fuse.

Le plaisir m’a saisi en ce lieu. Un trio très sensuel à peaux douces avait viré au duo. Par les mots de son corps mon partenaire m’a fait comprendre ce qu’il espérait de moi. Ce n’est pas l’envie qui manquait à l’actif toujours prêt pour peu que la connivence s’installe d’une manière ou d’une autre, et là il s’agissait de sens exacerbés par le toucher dans la pénombre. Il s’était courbé contre le mur. Il m’est apparu alors bien grand pour ma taille moyenne. Je l’ai pris sur la pointe des pieds sans effraction. Et si parfois, il a pu m’arriver de me sentir sale et dégoûté de moi-même, là l’intensité et le partage m’ont fait puissamment vibrer. Je me suis retiré en douceur avec l’aide de sa main, chacun contrôlant discrètement l’absence de risque. Nous sommes restés encore un peu, maintenant ce toucher si sensible et léger qui nous avait rapprochés. Puis il a glissé sa bouche vers mon oreille pour déposer un merci. J’ai répondu par des pressions amicales sur son bras. Après, dans ces cas là, je suis respectueux du secret de l’alcôve. On peut être aussi bien très curieux de savoir avec qui on a partagé un tel instant que justement désireux de n’en rien savoir, pour ne pas risque de garder une image qui ne correspondrait pas à son estime de soi. Là j’aurais bien aimé le voir mais je ne voulais pas revenir sur le fait qu’aucun de nous deux n’avait exprimé le désir de rejoindre une cabine. Je me suis échappé le premier après une dernière pression et j’ai senti qu’il suivait. A la lumière, j’ai avancé plus vite. Je me suis retourné dans un détour du labyrinthe, pris d’un remords. Il disparaissait déjà par autre voie… Mais était-ce bien lui ?

Il était tard. J’ai rejoins les vestiaires. Un gars sur le banc finissait de se rhabiller devant mon casier. J’ai attendu. Un homme est arrivé et s’est installé pour rechercher des affaires dans le casier juste à côté du mien. Je l’avais déjà croisé sans l’approcher. Là devant moi, je le trouvais désirable avec son visage ovale et sa barbe de deux jours, son corps peu musclé mais suffisamment mince pour être dessiné. Son slip est tombé du casier. Il l’a ramassé et se relevant en croisant mon regard m’a sourit d’un air plus entendu qu’il ne suffisait pour ce petit incident. Il a réalisé alors que je voulais atteindre le casier coincé entre le pilier et le sien. On s’est serré et j’ai pu commencer à me vêtir. Il fourrageait toujours. Je lui ai fait remarquer que son slip était retombé. Nouvel échange de sourires. Quand il eut terminé, il m’a regardé droit dans les yeux et toujours très souriant m’a souhaité une bonne soirée d’une belle voie grave. J’aurais regretté de partir alors si je n’avais compris que c’était lui...

Après avoir quitté le Marais, j’ai traversé la place de la Bastille et je me suis engagé dans la rue du faubourg Saint-Antoine. Encore les images de Zévaco, croisant Pardailhan entrant dans Paris dans une grande cohue de gens, de bêtes et de charrettes. Elles se superposaient avec celle d’un garçon de 20 ans découvrant la capitale à l’occasion d’une semaine de découverte pour jeunes provinciaux méritants. Le bus descendait la rue du faubourg encombrée par la circulation automobile et entrait dans un Paris moyenâgeux dépeint par deux enseignantes hors d’âge. Ce fut une sorte de coup de foudre pour cet ogresse de ville. Je ne pouvais savoir bien sûr que j’y reviendrai si souvent tant pour ses lumières que pour ses ombres.

4 commentaires:

  1. Très très joli post. J'adore l'écriture pleine de chaleur et délicatesse à la fois. :)

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    1. Oh merci Matoo ! Un plaisir de plus d'être lu par toi.

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  2. Jolie description. C'est chaud et doux à la fois :)

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    1. Merci Chris. A te donner envie d'aller au sauna ? Allez viens, je t’emmène :-)

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