samedi 23 février 2019

La malédiction de la chaussette

Longtemps j’ai qualifié mes chaussettes uniques de veuves. Jusqu’au jour où un ami a quitté ce monde et a laissé sa compagne dans cette condition. Le mot me fit alors horreur. Je ne les nommais plus car je pensais trop à lui et à elle. Il ne m’était pas venu à l’idée d’utiliser le qualificatif d’orphelines. Je note qu’Hugo ou de Lamartine utilisèrent le sens dérivé qui fait qu’on peut être orphelin d’un être cher au delà du père et de la mère. Même les parents pourraient être orphelins de leurs enfants. Je doute cependant de ce dont témoigne culturellement une telle extension. Est-ce que l’on considère que le chagrin est le même ou tolère-t-on un usage faute de mot spécifique ? L’absence de mot dédié ne témoigne-t-il pas d’un manque de reconnaissance ?
Quand je perdis ma sœur de cœur, on me fis bien comprendre que je devais contenir ma douleur. Certes il me manquait le lien formel du sang, mais force est de constater qu'à l’âge adulte la peine des fratries n’est pas prioritaire.
Je me suis éloigné des chaussettes.
Je trouve qu’elles représentent bien ce manque de considération. Les paires de chaussettes sont des jumeaux vrais, en tous points identiques sauf en fin de journée où l’on peut distinguer celle qui épousa le pied gauche de celle qui convola avec le droit. Quand j’étends le linge, j’essaie de mettre les paires ensemble. Il faudrait que je tourne le fil d’un quart. Elles auraient un meilleur paysage que de contempler le potager des voisins. Un trouble obsessionnel-convulsif ? Non, un simple aspect pratique pour apparier plus rapidement lors du ramassage. Je n’aime pas empiler en vrac sur une chaise. J’aime qu’elles retournent au plus vite dans leur boîte, prêtes à resservir, et dans cette attente, serrées l’une contre l’autre. Je mets de côté celles qui restent seules en attendant de retrouver leur double. C’est incroyable les aléas de la vie des chaussettes. Parfois le double ne revient de longtemps. Je vais fouiller la boîte de la femme de ma vie. Souvent j’en retrouvais dans celles de mes têtes baies quand elles ne finissaient pas par ressortir à une occasion ou une autre car elles n’ont jamais été regardant sur l'appariement.
Il y a tant de façons de traiter ses chaussettes. Pour les étendre, une vielle tante spécialiste en la matière me convertit un jour à la suspension par la pointe, dont la marque disparaitra dans la chaussure alors que l'inverse, par le bord côte, donnera une trace esthétiquement préjudiciable quand on est assis ou qu'on a le feu aux planches. Pour les plier, l'atavisme me faisait suivre la méthode que je qualifierais de "prêt à partir" : la chaussure est tournée sur l'envers, la pointe est repliée à l’intérieur vers le bord côte de manière à ce que le talon soit plié à moitié. Pour cela, tu introduis ta main dans la chaussette, tu chopes la pointe et tu tires. Ensuite, tu poses chaque chaussette l'une sur l'autre. Tu peux en rester là, ou par sécurité replier les talons sur la tige. Elle seront bien ensemble. L'intérêt de cette méthode qui te paraitra fastidieuse et couteuse en temps ? Un habillage prompt : tu déplies les talons, tu saisis la chaussette par les bords et tu introduis ton pied à l’intérieur jusqu'à buter sur la pointe, et là d'un mouvement rapide tu ramènes le bord côte vers ton mollet. Je t'assure, la technique est géniale et tu vas adorer. Je l'ai abandonné cependant. Souvent dans un couple, il faut faire des choix quand les atavismes ne sont pas identiques. Désormais je me contente d’accoupler par les bords côte repliés sur la tige. C'est très moche, souvent assez informe, plus long à chausser. La dernière technique est le vrac. Je n'en connais pas d'autre. Tu me diras.
Des associations récupèrent aujourd’hui les chaussettes dites orphelines ou usagées. Il parait que c'est l'objet dont on assure le moins bien le recyclage. Les orphelines en état trouvent un nouveau double assez facilement. On leur trouve une nouvelle famille d'accueil avant qu'un autre veuvage se profile, pardon qu'elles ne retournent à l'orphelinat.


4 commentaires:

  1. Les chaussettes de montagne, en tout cas la plupart des miennes sont orientées (est-ce le terme approprié ?) il y a une droite et une gauche et la précision est inscrite sur le côté, ce ne sont donc pas de vraies jumelles.

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    1. Je crois n’avoir jzmzis vu de telles paires, mes chaussettes de montagne sont rigoureusement identiques, et heureusement, n’étant pas parfaitement latéralisé !

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  2. Est ce si difficile de mettre les chaussettes par paires dans des étuis en tissu aérés avant de les glisser dans le tambour?

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