Comme chaque année je suis revenu au pays taiseux pour la saison des chrysanthèmes. Pour la première fois, j'étais seul pour fleurir ces tombes où reposent les 3 ou 4 générations qui m'ont précédé. J'aime ces lieux qui ont toujours été pour moi synonymes de visites aux défunts comme l'on va voir les vivants. Je n'y ai jamais vu de larmes, juste des émotions, seulement un recueillement serein.
La route serpentait vers ma dernière destination. Le village dominait la vallée de son roc. Là-haut peut-être comme autrefois quelqu'un suivait des yeux ma voiture, se demandant qui montait et vers quelle maison il allait. Je pensais à ces chemins que nous avions parcouru, à ces repas sous les ombrages, aux puits dans lesquels nous donnions de la voix pour en faire remonter l'écho. Je scrutais cette rocaille et les indices du passé qui en sortaient. Devrais-je ne plus revenir que pour cet hommage annuel ? Je n'avais plus de lien là-haut que ces corps décomposés sous la terre. Qui encore se souvenait de cet homme au front haut, fier seigneur de cette terre rude ? De son fils qui arpenta si longtemps ces pentes, donnant la main ici et là.
Après avoir déposé mes fleurs dorées, je suis allé sur le rempart embrasser la vue imprenable. Les couleurs d'automne étaient bien avancées, les vignes avaient roussi, des près bien verts et gras des dernières pluies contrastaient avec les marnes noires décharnées. Je me pris à mon tour au jeu d'observer une auto sinuant dans les lacets. Plus loin, l'eau avait creusé une gorge étroite dans la roche, au loin encore plus, on la voyait rejoindre la grande rivière sous la falaise de l'oppidum. D'un seul coup d’œil, je voyais plus de 2000 ans de vie des hommes à mes pieds.
C'est comme cela que te vient la sérénité. Cette idée que nous sommes aussi des pierres de l'édifice.
J'allais prendre un verre au café avant qu'il ne ferme. Nous étions deux seuls, l'aubergiste et moi. Nous avons parlé. Je lui ai dit que je sortais de cette terre et qui j'avais connu ici. J'ai rappelé des faits des uns et des autres. Il me regardait un peu étonné que je sois venu de si loin pour ça. Pour ces corps qui n'étaient plus que poussière, pour ces maisons qui tombaient en ruines. Pour ce qu'on ne ferait plus jamais parce qu'ils étaient tous morts.
Pourtant il y avait cette autre vie, parce qu'elle ne s'arrête jamais. Je me suis dit que je reviendrai à d'autres moments, que j'amènerai du monde, que nous irons sur les traces de ceux d'autrefois, que nous ferons d'autres souvenirs entre nous. Puis que nous viendrons manger ici, à la table de cet homme étonné qu'on puisse venir de si loin et qu'on n'ait pas oublié.
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