mercredi 11 septembre 2019

De la mort qui n’est pas une autre naissance

J’ai toujours pensé à la mort. Depuis très longtemps en tout cas. J’ai un vague souvenir de la mamé dans son futur lit de mort. Une image de petite vieille qui m’est revenue bien plus tard, en me rappelant le petit fauteuil rouge * que j’avais toujours vu chez la reine mère et que mon père recouvrit de vert. J’avais quatre quand elle disparut.
Le fauteuil rouge participait à l’ameublement de la salle d’été. Je l’aimais bien ce fauteuil rouge. La seule photo que je connaissais de la mamé était celle du cadre dans la chambre qui m’était interdite. Une femme dans la fleur de l’âge, assise à côté de son mari et derrière eux les fils debouts. Une de ces photos de famille faite par un photographe comme on en faisait encore au début du XXe siècle. Elle avait bien de la chance, la grande guerre n’avait emporté aucun de ses hommes. Un jour, un porte-photo de cheminée se défit. Il en sortit d’autres clichés, dont un d’une toute petite femme en noir. Soudain les souvenirs s’assemblèrent. La mamé, le lit dans la chambre grise et le fauteuil rouge bien sûr. Je demandai si le fauteuil rouge était autrefois dans la chambre grise. On me répondît par l’affirmative.
Sa mort ne m’avait pas affecté. C’était la première fois. Ou du moins je n’en ai aucun souvenir comme de celle qui fit sa révérence le jour même de ma naissance.

Le premier trouble ce fut à onze ans quand je trouvai ma mère en pleurs une lettre à la main ou peut-être était-ce un télégramme. L’oncle était mort voire déjà enterré. Noël approchait et je me remémorerai les paroles qui s’étaient échappées de sa bouche édentée quand il m’avait raconté ses grands voyages au cours de l'été précédent. Il pointait les lieux sur une mappemonde sinon je n’aurais rien compris.
À cette époque, la mort m’a perturbé mais moins peut-être que les sornettes que nous débitaient les curés et la catéchèse. Je renonçai à l’existence du paradis et de Dieu. Sans âme, mon esprit s’apaisa.

Hier, roulant entre les champs de maïs à perte de vue, ce paysage m’évoqua la mort. Fraîchement revu du pays taiseux, la perspective d’une réduction de corps m’était revenue. Il convenait de faire la place pour les suivants. L’idée qu’on puisse fouiller dans notre tombe et en rassembler les restes des défunts pour mieux pouvoir les rejoindre me heurtait. Que devait-il rester de la veuve noire après plus de trente années ? On est parfois surpris de la conservation de certains corps. À tout choisir, peut-être serait-il mieux de découvrir des os ou de la poussière ?

* le nom de l’objet a été changé.

4 commentaires:

  1. il manque un élément crucial à mes yeux : la place de l'oncle dans la fratrie dont la maman faisait partie sans doute. Quand à mes grands parents paternels- je n'ai pas connu les maternels sauf par la photo bien retouchée et encadrée qui a toujours été à l'honneur dans la maison familiale - je me souviens des moments partagés pendant les vacances, les odeurs de cuisson de la gelée de groseilles, l'odeur de brioche dans la cave,frigo de l'époque et celle du buffet de cuisine dès qu'on entrouvait la porte , mais aussi les sons de leurs voix une douce mais autoritaire, et l'autre un peu rocailleuse comme un grand cru et Radio Luxembourg avec la chose, l'homme mystérieux, l'homme des voeux Bartisol,Zappy Max sur le midi , le Tour de France de 3 à 5 et le soir, le crochet, le quitte ou double ! pas de télé , mais que de souvenirs ancrés jusques à quand… morceaux d'éternité ?

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    1. c'était son oncle à elle, mon grand-oncle donc...
      Zappy Max sur RL ! wouah :) je l'ai connu plus tard sur RMC où il a duré jusqu'au début des années 80. Savez-vous qu'il est mort cette année ? L'INA nous assure de ces éternités...

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  2. J'ai quelques souvenirs de ma grand-mère maternelle qui est morte peu avant mes trois ans. J'étais son chouchou, parce que le premier descendant de l'une de ses trois filles. Elle avait eu treize enfants...

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    1. souvenirs de 3 ans, chouette ! un ami a utilisé le chamanisme pour remonter jusqu'à sa naissance, j'étais presque tenté.

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