mardi 26 mars 2019

L'enfant caché

Je voulais minuter mon trajet pour éviter toute surprise. Habituellement, depuis l’hôtel des mauvais garçons, j’allais prendre le RER à Châtelet-les-Halles. Une intuition de mon gps embarqué sous le crâne. L’appli de la RATP m’invitait à gagner plutôt la station de Saint-Michel-Notre-Dame. Soit. Le parcours est assez agréable : descendre un peu la rue de Rivoli, passer devant l’hôtel de Ville, traverser une première fois la Seine avec vue sur le palais de la Cité, faire un clin d’œil à Notre-Dame, pour enfin rejoindre la rive gauche.

Passer devant le café Notre-Dame, sur le quai Saint-Michel, m’évoque toujours la rupture que je prononçai en ce lieu, il y a maintenant fort longtemps. Je ne l’ai jamais oubliée. Qu’est-elle devenue ? Je m’attendais à une formalité, ce n’avait pas été si simple. Non que j’eus du mal à le faire ou qu’elle ait mal réagi. Il y avait quelque chose dans son regard et l’expression de son visage qui m’avait troublé. Elle n’en avait pas dit plus. Sans doute n’avait-elle pas eu conscience de livrer un sentiment indéfini pour moi. Je ne savais pas alors que je pouvais lire les émotions fugaces. Je croyais que ce que je captais était nécessairement ressenti par l’autre. Ce trouble est resté. Encore aujourd’hui il m’interroge.
Cette affaire est remontée plus tard. Un collègue était partie en stage à Paris. Au retour il m’avait dit avoir croisé une femme avec des jeunes enfants dont l’aîné me ressemblait de manière étonnante. Amusé, il m’avait demandé si je n’avais pas un enfant caché. Je l’avais interrogé. L’âge présumé, le quartier, tout collait.
Nous avions fait l’amour sans protection. J’ai honte d’y penser. Je ne savais pas parler de ça et je m’étais réfugié derrière son sens des responsabilités. Tu peux m’accabler, je le mérite. J’ai souvent pensé que si j’avais été homo à l’adolescence, je serais mort aujourd’hui.
Cette coïncidence m’a fait gamberger. L’émotion que j’avais ressentie, c’était cela. Elle avait pensé être enceinte ou elle le savait déjà. Elle avait décidé de n’en rien dire plutôt que de s’attacher à cet inconscient qui n’avait pris aucune précaution et désormais la lâchait sans se soucier de quoi que ce soit. J’endossais cette culpabilité, d’une manière totalement gratuite car je ne lançai aucune enquête pour éclaircir la chose. Non j’intériorisai cette hypothèse. De ce jour, je l’attendais. Je pensais le voir venir à la rencontre de ce père perdu. C’était plausible car elle avait le moyen de me retrouver, plus que moi le contraire - elle connaissait mon métier et mon employeur -. Quant à cet enfant, je ne savais pas l’imaginer autrement que comme un jumeau un peu plus âgé de ma tête brune. J’étais prêt à l’accueillir.
Il n’est jamais venu. J’ai fini par ne plus l’attendre.

Je suis arrivé à la station de RER. Elle était fermée jusqu’au dimanche à 17 heures. Il fallait maintenant que je trouve une solution alternative pour ne pas rater l’avion.

2 commentaires:

  1. C'est beau et interpellant , mais sous une autre perspective, car un jour un client me salua par un nom =qui n'était pas le mien évidemment= mais en doutant de mon identité à tel point qu'il me demanda "vous êtes sur?" et il y eut aussi un journaliste local qui regrettait ne pas m'avoir salué lors de la première du film " Le cadeau " à Liege - photo à l'appui : des sosies sans aucun doute , alors un fils caché , possible aussi , non ?

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    1. Sosies, on en trouve beaucoup, enfants cachés, ça dépend de ce qu'on a fait de sa vie. Personnellement, mon nombre de partenaires féminins se comptant sur les doigts d'une demi-main arrondie, je ne peux avoir que deux enfants cachés...

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